Rencontre de courtoisie [Pv Lonewolf]

Je me réveillai en sursaut, haletante. Mes pattes avants étaient tendues devant moi, soulevant mon buste, tandis que le reste de mon corps était à moitié affalé sur la banquette du train. Un rêve. Juste un simple et stupide rêve. Je clignai des yeux pour ramener mon esprit à la réalité puis déglutis pour réhydrater ma gorge sèche. Un simple, stupide cauchemar sans fondement. Pourquoi je faisais ce genre de cauchemar? Ce n'est pas non plus comme si j'avais participé à cette vieille guerre contre les Changelings, c'était à peine si j'étais née à cette époque. Père avait dû me raconter trop de fois ses souvenirs et mon inconscient avait fait le reste.

Je me réinstallai plus dignement sur la banquette du wagon Première Classe dans lequel je faisais le voyage et avisai ma bouteille d'eau. Sous le coup de la peur et de la fatigue, ma magie bleue s'activa spontanément et je pus boire de l'eau fraîche. Tout ce dont j'avais besoin. Je reposai la bouteille et portai mon regard vers le paysage qui défilait à toute vitesse. Les trains de cristal étaient vraiment rapides, je devrai essayer de comprendre leur fonctionnement un jour. Je portai mon sabot à mon cœur, constatant qu'il avait repris un rythme presque raisonnable.

Je devais aller à la ville d'Aurora pour rencontrer de lointains cousins que je n'avais pas vu depuis longtemps. Cela ne me déplaisait pas, j'avais beaucoup travaillé ces derniers temps et j'avais besoin d'un peu de repos... Mais bon, je ne connaissais pas vraiment la ville lumineuse et j'avais peur de mettre du temps à trouver leur maison en plein centre-ville. Dans le pire des cas, je pourrais demander mon chemin, ils doivent m'attendre pour ce soir et je vais arriver vers dix heures. Tout d'abord, il fallait que je trouve la maison que j'avais loué pour y poser mes affaires. J'avais décliné leur offre d'hébergement, n'ayant pas eut envie de vivre dans une maison remplie d'enfants bruyants et chahutant, impliquant de devoir participer aux repas à rallonge matins, midis et soirs. J'avais assez d'une maison familiale pour ça.

Le paysage qui avait été neigeux pendant une bonne partie du trajet commença à se réchauffer et j’aperçus au loin le relief d'une ville devant le soleil du matin. Voyant le terminus, je descendis mon sac à coup de magie rouge pour ne pas le refroidir plus qu'il ne l'était, et je le sanglai sur mon dos. Je n'avais pas besoin de plus, pour trois jours sans fête ou cérémonie. Je l'ouvris et en retirai mon tournevis préféré qui retrouva se place entre mes dents. Je pourrais bien le ranger avant de saluer ma famille, pour l'instant il m'aidait à oublier les traces du mauvais rêve qui m'avait assaillit pendant la nuit. Je soupirai et m’assis de nouveau, regardant le paysage ralentir et se couvrir de maisons ornées de cristaux. Je ne pouvais pas nier que l'architecture était admirable et que les ornements étaient de toute beauté. Il faudrait que je pense à acheter quelques cristaux, leur capacité luminescente pourrait sans doute être utile.

Je sortis de ma cabine privée et marchai dans le couloir jusqu'à la porte de sortie, rejoignant un pégase qui avait dû prendre la Première Classe aussi. Les portes s'ouvrirent une fois le train stoppé et je descendis soigneusement les quelques marches jusqu'au quai. Sans faire attention à ceux qui étaient attendus, je m'engagea dans la ville encore calme en suivant les panneaux. Je m'arrêtai devant un plan du quartier.

Je sortis une carte de la ville de ma besace et tentai de me retrouver dessus. Je soupirai: ce n'était pas gagné. Apparemment, elle n'était pas à jour et certaines rues n'y figuraient pas. Ennuyée, je regardai autour de moi et avisai un poney non loin. Allant à sa rencontre, je m'inclinai poliment devant lui et lui demandai:

"Excusez-moi, pourriez-vous m'indiquer où se trouve la rue de la Rosée, s'il vous plait? Je ne connais pas cette ville."

Une dame m'interpela soudainement, j'étais perdu dans mes pensées sur le quai mais je repris vite mes esprits lorsqu'elle arriva.

Je mimai d'abords la surprise afin de m'autoriser à la regarder et à l'analyser dans paraître louche.
Me sauterent aux yeux l'outil dans sa bouche et sa patte de métal. Et le mot "Ingénieur" apparut d'un coup dans ma tête en voyant cela.

Mon analyse-réflexe de traqueur terminé, je me mis à réfléchir à sa question, là encore profitant de long gestes pour me faire gagner quelques instants : elle était étrangère et cherchait la rue de la Rosée.
J'aurais pu répondre immédiatement, j'y étais justement passé ce matin même pour rendre des services à plusieurs personnes.
Mais au lieu de tout de suite lui indiquer le chemin, je pris deux secondes pour vivement l'analyser encore : un geste noble, une posture et une intonation fière, trois formules de politesse. "Ingénieur" et "Noblesse" vinrent alors la décrire pour l'instant et je lui répondis.

"Oh... Ce n'est pas très loin mais c'est assez... difficile à trouver en partant de la gare."

Je souris quelque peu amusé de la situation, j'avais bien compris que c'était le plan obsolète qui posait problème. Je m'étais justement placer non loin pour éventuellement aider des nouveaux arrivants. Cette idée c'est pas moi qui l'a eu mais un entraîneur, il disait que je devais en profiter pour "affûter mon oeil"... Chose que je ne suis pas certain de comprendre.
Je m'inclinai à mon tour, toujours souriant.

"Si l'idée de me suivre ne vous mécontente pas : je pourrais vous guider parmi les rues marchandes sinueuses qui y mènent. Sinon je ferais de mon mieux pour vous en dicter l'itinéraire plutôt court mais néanmoins complexe."

Un registre de langue de qualité ne fait de mal à personne, même aux moins éduqués. Je ne risquais pas grands chose en parlant comme ceci.

Pour ne rien cacher, je fus agréablement surprise par la politesse de sa réponse. Peut-être avais-je pu penser un instant que les manières du poney qui me faisait face seraient d'avantage... banlieusardes? De toutes manières, cela me fit légèrement sourire, même si l'on sentait que ce registre de langue n'était pas le plus naturel pour lui. Tant pis, l'effort était suffisamment méritoire pour ne pas y prendre garde. Quand il eut finit sa proposition, je pris quelques instants pour réfléchir.

Marcher aux côtés d'un inconnu n'était pas un symbole de prudence, mais se promener seule dans une ville inconnue en suivant un plan complexe n'était pas des plus sûrs non plus. Dans le pire des cas, je pourrais arguer que je reconnaissais le chemin d'une manière ou d'une autre pour pouvoir m'éloigner. De plus, le jeune mâle ne semblait pas avoir d'intentions péjoratives, même si son regard me donnait la désagréable sensation d'être jaugée. Je répondis donc avec reconnaissance:

"À vrai dire, je ne suis pas sûre de suffisamment connaître cette ville pour pouvoir prendre ce risque. J'apprécierais beaucoup d'être accompagnée, si cela ne vous gêne pas. Bien sûr, quand la route deviendra plus simple, vous pourrez m'indiquer le chemin, je m'en sortirais."

Ceci dit, nous nous mîmes en route, commençant à marcher le long d'une large rue. Même si la lumière diurne éclairait généreusement la cité, des cristaux lumineux étaient visibles de partout, faisant plus office de décoration que d'éclairage public en journée. Tandis que nous nous déplacions tranquillement sur la route pavée, ma curiosité me poussa à poser une autre question, pour alimenter la conversation en chemin:

"Vous semblez bien connaître la quartier pour être au courant du trajet qui mène à cette rue. Vous vivez ici? C'est une ville remarquable."

J'adorais admirer les milles et unes leurs resplendissantes de la ville. Je ne me laissais jamais de rêvasser en les admirant. Mais la licorne vint très vite me réveiller.

"Oh non pas vraiment je suis plutôt là en mission. Je fais peu de la guilde des gentil-poneys, une organisation qui met en relations divers aventuriers avec des personnes dans je besoin, et j'avais quelques services à rendre ici. Alors on m'a donné une chambre ici dans un hôtel."

Très vite nous passâmes trois bifurcation et arrivâmes face à une place décorée d'une belle fontaine ornée tout simplement de grand cristaux. Il n'avait rien de particulier mais elle restait très charmante dans sa simplicité. Ici alors se coupait la grande rue d'où l'on venait en quatre embranchements plus petits. Je m'arrêtai et lui indiquai :

"La rue la plus à droite est celle que vous cherchez. Elle est un peu étroite et sinueuse mais juste après s'y dévoile un quartier hôtelier. La rue à côté est principalement commerciale et les deux autres seulement résidentielles.
Sur ce ne vous embêterais pas plus longtemps."

Je lui fis une très souriante référence, légèrement amusé par ce mouvement.

"Et si un jour vous cherchez un héros quelconque, je m'appelle LoneWolf Feraleaf."

Ainsi, la balade avait été courte mais guère désagréable. Le poney me salua après m'avoir indiqué ma route, présentant finalement son nom, je lui répondis avec la même politesse:

"Eh bien, si un jour vous êtes de passage à Canterlot, ou si vous avez besoin de l'aide d'un Forgeur, n'hésitez pas à demander Zenith Dawnblade, je me ferais un plaisir de vous venir en aide, LoneWolf Feraleaf!"

Après une dernière inclinaison souriante de la tête, je me détournai et me mis à marcher tranquillement au travers de la rue menant à mon hôtel. Elle était en effet assez étroite, il y avait tout juste la place de marcher de front pour deux poneys. Après quelques dizaines de mètres le long de cette ruelle, je débouchai sur le flanc d'une rue bien plus large, animée par la population du matin qui finissait de s'installer. Un coup d’œil à l'horloge d'une tour qui dépassait des maisons m'indiqua qu'il était déjà bientôt onze heures. Visiblement, le trajet avait été plus long qu'il ne semblait.

Je cherchais du regard un maison correspondant à la description que l'on m'en avait faite. Murs de bois, toit bleu, deux étages et deux rosiers bleus dans un jardinet. J'avisai finalement la fameuse bâtisse, retirai mon tournevis de ma bouche et appuyai deux coups sur l'élégante petite sonnette devant la porte. Après quelques secondes, un jeune Cristal poney entrouvrit la porte et appela son père. Ce dernier, de même race, sortit et me salua en souriant. Oui, j'avais fait bon voyage, oui cette ville était charmante, ah, mais votre fils est adorable, oh non, je crains ne pouvoir manger chez vous ce midi, mais merci pour la proposition. La conversation de politesse terminée, il me remit les clefs de ma maison, à deux pas d'ici, et me confia un petit plan pour aller chez mes cousins.

Je le remerciai une dernière fois, remis mon accessoire entre mes dents et rejoignis la petite habitation, une rue plus loin. Un étage, une cuisine, un salon, une salle d'eau et une chambre, je ne demandai guère fondamentalement plus quand je résidais seule, même si mes parents avaient tendance à en faire trop. Je posai mes affaires, allai déjeuner dans un restaurant voisin et passai mon après midi à découvrir la ville. Elle était toujours aussi remarquable, présentant des monuments simples ou plus complexes, tous comportant ces fameux cristaux si cher à cet Empire. J'étais heureuse que nos deux nations soient alliées, il était toujours agréable de séjourner dans ce genre de cité.

Quand je vis qu'il était l'heure, je me mis en route vers le manoir de la famille Cristalwind, et j'arrivai avec un petit quart d'heure de retard, rangeant à nouveau l'outil que je mordillai. Je n'affectionnai pas ce genre de politesse, je préférai arriver à l'heure, mais j'avais bien appris que pour ce genre de rendez-vous, arriver à l'heure pouvait s'avérer être une gêne, et qu'il valait mieux laisser aux hôtes le temps de tout finir de préparer.

Je fut accueillie avec de grands sourires, la famille entière était composée de Cristal poneys. Et oui mon trajet avait été confortable, non, la maison n'avait pas été trop difficile à trouver, oui j'étais bien installée, et voici des cadeaux pour les enfants, je vous en pris, cela me fait plaisir...

Le repas était succulent et la soirée assez agréable, les discussions intéressantes, et les quatre enfants assez amusants malgré les pleurs réguliers du petit dernier. La soirée passa plutôt vite, et c'est finalement à minuit passé que je quittai la famille dans de chaleureuses embrassades.

J'avais un peu bu, et même si je marchais encore droit, je sentais mes paupières papillonner tandis que je tentais de retrouver le chemin de ma maison. Je m'arrêtai un instant pour laisser le vent me rafraîchir et pour admirer le paysage nocturne de la ville. Les myriades d'étoiles se reflétaient dans les fontaines, entre les reflets de cristaux phosphorescents. J'avais la gorge un peu sèche, j'avais hâte de rentrer pour me désaltérer. Je me remis en route.

Étais-je déjà passée par ici? Non, je ne crois pas... Tiens, cette devanture me rappelle quelque chose... Ah, je me souviens de ces deux cristaux en forme de pégases! Et c'est ici que mon premier guide et moi nous étions séparés. Donc, il me suffit de prendre cette ruelle, et je suis à deux rues de la maison. Allez, j'y suis presque. Tiens, quelqu'un à cette heure-ci? Étrange... Je... Je devrais peut-être trouver un autre chemin, je ne suis pas sure de... Mince, il y en a deux derrière!

J'étais cernée, bêtement. Mordant ma lèvre, je ne me faisais pas d'illusions, ces trois silhouettes n'étaient pas de simple passants. Mais s'ils pensaient s'attaquer à une faible licorne infirme, ils se leurraient gravement. Le coin de ma lèvre s'éleva un peu. Les trois se rapprochaient maintenant clairement, ils ne cachaient pas leurs intentions. Mon regard se plissa à la vue d'un reflet sous la cape de celui qui me faisait face, une arme blanche. Me mettant subrepticement en position défensive, je relevai légèrement ma prothèse, prête à en faire jaillir ma lame secrète. Ce n'était pas la première fois que l'on me prenait à revers.

Ils étaient tout près maintenant, derrière comme devant, et je voyais le sourire de celui en face de moi. Des amateurs. Ils prenaient stupidement leur temps, par spectacle. En les prenant par surprise, je devrais pouvoir m'en sortir, pour ceux de derrière. J'en attaquerais un, puis l'autre juste après, je prendrais une de leurs armes et menacerai celui de devant. Soit il fuirait, soit je devrais échanger quelques passes, mais j'aurais l'avantage du moral. Ils étaient presque là.

Trois... Deux... Un...

J'appuyai ma patte arrière contre le sol, attendant le chuintement léger de l'acier. L'attendant. Un grand froid parcouru soudainement mon corps. La lame était bloquée! Mince mince mince mince! Je sentis la sueur couler sur mon front. Je n'avais aucune chance au corps à corps à trois contre un, même contre des amateurs! Surtout qu'avec l'alcool dans mon sang, je n'étais même pas sure de pouvoir esquiver efficacement les attaques! Mais comment j'allais sortir de là, sans même pouvoir courir, riposter... Pourvu qu'ils se contentent de me voler, ce serait bien trop stupide d'être tuée ainsi...

Le temps d'une révérence et d'un signe de la part et elle avait déjà disparu...

C'était donc bien une forgeuse.
Quelques secondes après son départ, j'empruntai la rue commerciale. J'y pris un milkshake, deux pomme et un sandwich et je reparti au QG de la guilde pour profiter du réfectoire vide. Il n'y avait du monde que le soir. Je pouvais enfin me détendre et rependre forme normale.

Une demi-heure plus tard, une ponette avec un cristal incrusté d'une enceinte vint me réveiller de ma mi-sieste. C'était une camarade et l'inventrice personnelle de le guilde.

"C'est la nouvel création ! Le CC !
- Coup Critique ?
- Nah !
- Calepin Cuit ?
- Mais non !
- C'est un... Coup-ci Coup-ça ? Comme c'est le cas de tes autres inventions ?
- Arrête, c'est un Cristal Communicateur ! Ça permet d'envoyer et d'interpréter des ondes en faisant résonner le cristal pour parler à distance.
- Et ça va exploser comme tes autres prototypes du genre ?
- Non... Ça a une durée de vue de 10 jours...
- Owh... Fais pas cette tête, c'est déjà très long tu sais."

Elle m'expliqua longuement que c'était la stabilité du cristal qui rendait la production de signal moins... explosive.

On fit tous un tas de tests avec les autres membres et je pus enfin me reposer réellement deux heures plus tard.

Ce n'était pas discret, il fallait le frapper pour l'activer ou l'éteindre et il faisait une vibration des moins agréables une fois en marche, mais au moins on pouvait parler à distance.

La sieste terminé, je pris un court repas comme le guilde savait les faire et partis pour la tournée nocturne, me retransformant en poney terrestre qu'une fois posté sur un toit. Le CC se mit alors à trembler :

"Allô LoneWolf, tu me reçois ?
- Oui je te reçois très bien.
- Hahahaha ! Ah m*rde ! T'as un voix tellement plus viril d'un coup !
- Et toi t'as une voix de grillon.
- Hahaha ! Tu plaisante là ?!
- Même pas, t'as vraiment la voix qui grillonne.
- Haha ! Bref, tout se passe bien pour l'instant ?
- Oui, pas la trace du moindre gang pour l'instant.
- Ça va sûrement venir, mais n'oublie pas, si tu dois en " interpeller" quelque uns, tu as ordre d'en laisser au moins un s'enfuir.
- Oui j'essaierai d'en tuer un de moins, LoneWolf terminé.
- Quoi ?! Non tu déconne là //KRRR//"

Je venais de frapper le CC sur une tuile, c'était  marrant comme façon de raccrocher.

J'entamais alors ma patrouille nocturne au calme, prenant les rampes spéciales qui étaient prévues à cette effet en écoutant et observant les discrètes rues faiblement éclairées par les doux éclats des cristaux. Je profitais alors pour réviser les mécanisme de détente de dégainement de mes hachettes, je n'avais pas de vraies notions en ingénierie mais je savais les entretenir au moins.

Je m'arrêtai devant une place, c'était là où on s'était quitté. J'eus un sourire en y repensant.

Puis quelques bruits de pas attirèrent mon attention, mais qui m'alarma le plus, ce fut un étrange grincement métallique.

En moins de deux je le retrouvai sur un des bâtiments surplombant la scène. Se déroulait huit mètres plus bas ce qui semblait être le début d'une agression. Je reconnus les bandits, je reconnus la victime...

Avec un haut le cœur je sautai. Les sabots en avant, j'atterris avec fracas sur le buste de l'un d'entre eux, le neutralisant instantanément.
Je fis une vive révérence à Zenith.

"Milady ~"

Je fis volte-face et dégainai brusquement la hachette dans l'épaule du second. Je le tirai vers moi et le réceptionnai d'un coup de coude bien placé. Puis d'un même mouvement vif et précis, je le retournai et bandai mon arc en direction du troisième un peu plus loin.

"Tu as cinq secondes pour fuir..."

Il hésita, parcouru du regard rapidement avec ses camarades à terre avec panique...

"Quatre !"

Ni une, ni deux (ni même trois pour le coup) il déguerpit précipitamment hors de notre vue. Je sortis le CC et le frappai contre un mur pour faire une courte déclaration et raccrocher immédiatement après.

"Ici LoneWolf, je suis dans la ruelle sombre de la petite place, j'en ai attrapé deux, besoin d'escorte, terminé.
- Compris on arriv//KRRR//"

Je fis face à la licorne, échangeant malgré moi mon allure de héros vengeur pour celui de garçon timide. Les pommettes roses et un large sourire gêné dressé sur mon visage, je lui dis à peine.

"B-bien le bonsoir... M-m-mademoiselle..."

Sur le coup, il m'avait été bien plus facile, bien plus instinctif de la battre que de m'adresser à elle. C'était sûrement l'adrénaline du moment, la panique ou la surprise qui me faisait réagir comme ça.
Je sentais ma respiration accélérer un peu, elle n'avait pas changer en réalité, mais maintenant que la situation avait elle changer, cela le gênait...

Et il sortit de nulle part. J'entendis un bruit sourd derrière moi, je me retournai violemment, et il était là. Il fit une révérence, avec ce regard tranquille de ceux qui maîtrisent parfaitement la situation. Une demi-seconde plus tard, son voisin était à moitié décapité. Deux secondes plus tard, les quelques reflets nocturnes dans ses yeux fixaient le dernier agresseur, communiquant la même menace que son arc bandé. Et au cas où l'ennemi n'ai pas compris le message, il l'articula plus explicitement. Le troisième pris ses jambes à son cou.

Avez-vous déjà eut cette sensation? Alors que vous aviez cette certitude, cette conviction, cette évidence au plus profond de votre cœur et de votre esprit. Alors que vous saviez que vous n'aviez plus que quelques secondes à vivre. Qu'au lieu de voir défiler vos souvenirs devant vos yeux, vous visualisiez toutes les manières dont vous risquiez de mourir dans cet instant précis. Et là, alors que votre esprit est sur le point de s'éteindre avant votre corps, vous vous rendez compte que vous respirez. Je respirais, et il n'y avait plus de menace.

Je sentais le sang battre dans mes tempes, aussi bien que si mon cœur était dans mon crâne. Je respirais car j'haletais presque. Mes oreilles bourdonnaient et chaque son me paraissait être vacarme, mais le silence était douloureux, mon regard semblait distinguer chaque détail du pavé sous mes pattes tremblantes. Je n'avais pas l'impression d'avoir déjà été aussi lucide, comme si tous mes sens voulaient rattraper leur affolement des quelques secondes précédentes. Je clignai des yeux aussi fort que possible et pris une grande inspiration avant de relever le visage vers mon sauveur.

LoneWolf Feraleaf, le poney de ce matin. Dans l'action, je ne l'avais pas reconnu. Et soudain, comme s'il perdait ses moyens, son visage s'empourpra, et il ne put que balbutier un:

"B-bien le bonsoir... M-m-mademoiselle..."

C'était tellement... improbable? La fatigue peut-être, ou le retour d'adrénaline? Mes pattes cédèrent et je m'effondrai. À cause de la rigidité de mon exosquelette, ma patte arrière se tordit, provoquant une onde de douleur dans tout mon arrière-train. Je n'avais même pas la force de gémir. Ce n'était pas la première fois que je me faisais attaquer, et ce n'était pas la dernière. Ce n'était pas la première fois que j'avais été impuissante et que j'avais eu l'impression que j'allais mourir, je n'ai pas toujours su me battre, et ce n'était toujours une question d'ennemi organique, comme l'attestait ma patte. Mais c'était la première fois que je passais ainsi de la confiance entière à la terreur totale. Je n'avais pas comme mon père deux dagues cachées dans mes bottes et une armure quasi complète en toutes occasions. Je n'avais pas comme ma mère une quantité déraisonnable de magie parfaitement contrôlée. Non, je n'avais qu'une stupide lame qui s'était stupidement coincée dans le stupide métal de ma stupide prothèse, à cause de ma stupide patte défaillante.

Les larmes coulaient sur mes joues, et ma gorge nouée m'empêchait de répondre à mon sauveur. Mon regard était brouillé, et je sentis à peine qu'on m'aidait à me relever. Je n'étais pas blessée physiquement: ils ne m'avaient pas encore attaqué avant son arrivée, et tout était allé trop vite. Je me sentais juste terriblement humiliée. Humiliée de me présenter dans cet état, humiliée d'une telle défaite, humiliée d'avoir faillit mourir ainsi, humiliée d'avoir cru que j'allais mourir ainsi.

Puis tout devint noir.

Mon large sourire idiot laissa très vite place à un visage horrifié lorsqu'elle s'effondra sur le sol.

Je lui demandai si tout allait bien mais elle était trop absente pour répondre...

Un état de choc ! C'est... C'est pas si grave que ça mais faut la mettre à l'aise, pas dans une ruelle sombre et humide comme cela. Je l'emmène au QG ou à l'hôpital ? C'est pas grave à ce point mais c'est mieux de ne pas prendre de risque. Leurs l'hôpital est loin ! Hhm...

Le CC vibra :

"Hum LoneWolf, la petite place c'est bien celle avec le jolie fontaine non ?
- Oui dépêche-toi, je laisse les deux bandits assommés ici, je ramène en vitesse une victime au QG. Fais vite ou tu pourras en interroger qu'un seul !
- Quoi ?! Qu'est-ce qu//KRRR//

Sans perdre de temps, je porta sur mon dos le corps évanoui de le noble forgeuse et me précipita vers l'infirmerie du quartier générale de la guilde. Cinq minutes plus tard, un infirmier m'y mis un lit à disposition et vérifia son état de santé.

Elle était seulement un peu choquée.

Soulagé, je m'assis à côté d'elle. Mon cœur battait fort, mes poumons étaient épuisés et mes sabots me faisaient un peu mal, mais au moins elle était hors de danger...

Je pus enfin redevenir calme au bout de dix minutes. Mais à peine je m'étais remis à respirer normalement que mon cœur reparti pour un tour lorsque Zenith reprit ses esprits : je sentais me poitrine palpiter, mes veines se tendre suis la pression et les pattes trembloter légèrement, le tout sans raison !

Je m'avançai un peu et dit sur un ton doux au possible :

"Salut ~"

C'était tout ce que je pouvais dire, et même si j'avais eu le courage d'ajouter autre chose, de lui demander comment ça allait,  je n'étais pas sur que cela aurait été agréable vu son état.

Il me semblait qu'une unique seconde s'était écoulée entre le moment où ma conscience s'endormait et celui où elle s'éveillait, mais il aurait aussi bien pu se passer une minute, une heure ou une entière journée. J'étais un peu mal à l'aise, mes souvenirs des derniers événements étaient plutôt flous. Je mis bien quelques instants à me rendre compte que je n'étais plus par terre dans la rue, mais au chaud sur un support plus confortable que des pavés. Ma patte défaillante me lançait un peu, et je peinais à m'en souvenir la raison. Finalement, quand je me rendis enfin compte que mes yeux étaient fermés, je les ouvris lentement.

Je ne reconnus pas le plafond qui s'offrait à moi, me confortant dans l'idée que ce qui me semblait être un rêve n'en était pas. Je cillai plusieurs fois, légèrement éblouie par la lumière de la salle. J'avais un peu de mal à respirer, à cause de la précédente tension peut-être. Ma gorge me semblait un peu enrouée. Mes oreilles s'agitèrent, faisant tinter ma boucle d'oreille, quand j'entendis quelqu'un approcher.

Il s'agissait de LoneWolf. Mes souvenirs revinrent d'un coup, accompagnés d'une nuée de sentiments contradictoires qui firent passer une onde froide dans mon corps. J'avais été en danger, persuadée de mourir et là, il était intervenu. Il m'avait sauvé la vie. Je le regardai, reconstituant mentalement le visage qu'il m'avait semblé avoir durant le combat. Ce n'est que quelques secondes après sa salutation que je me rendis compte que je le fixai sans répondre. Je détournai alors immédiatement les yeux, rougissant de mon impolitesse, et lui répondis d'une petite voix que je ne me connaissais guère:

"Je... Salut..."

Et ma voix avait un peu tremblé en plus de cela! Mais de quoi avais-je l'air ainsi, le visage rose et le regard fuyant? Allez, un minimum de tenue, Zenith! Je me redressai plus ou moins aisément, mais n'arrivant pas à m’asseoir, je me contentai de m'installer sur le ventre, la tête de redressée. Je regardai quelques instants le visage du poney, mais quand le silence s'installa, je pris finalement l'initiative de trouver des réponses à mes questions.

La première interrogation qui me vint fut de lui demander si c'était bien lui qui m'avait sauvée. Mais c'était ridicule, je l'avais bien reconnu tout de même. Puis, je me demandai si c'était lui qui m'avait transporté jusque là, mais cette question n'avait aucune importance! Je me demandai après s'il avait veillé sur moi pendant toute la durée de mon absence. Sérieusement Zenith, trouve des questions pertinentes! Finalement, lui demander le lieu où je me trouvais semblait être une bonne idée:

"... Est-ce que tu-"

Non Zenith, non! Des questions pertinentes!

"Je... où sommes-nous?"

Voila, et maintenant tu respires, et tu arrêtes de le dévisager ainsi, c'est impoli! Alors que je détournai les yeux, plus embarrassée encore, j'avais l'impression d'avoir Mère à côté de moi, me martelant sur ma tenue. Et si d'un côté je voulais lui obéir, pour dissiper l'étrange malaise qui m'empêchait de bien respirer, une autre partie de moi ne voulait pas lâcher mon sauveur du regard.

Je lui adressais un sourire gentil et chaleureux avec une légère touche d'amusement en la voyant troublée ainsi.

"À l'infirmerie de la guilde, qui sert aussi de clinique locale."

Dans ses yeux fuyant je voyais que son esprit était rempli de questions, mais elle voulait se concentrer sur l'essentiel, alors dans je silence je pris l'initiative du lui répondre comme je pouvais :

"Après que tu aie failli être agressée tu t'es évanoui et je t'ai amené directement ici. C'était il y a cinq ou dix minutes, peut être moins. "

Un court silence gênant se posa.
Qu'est ce que je peux lui dire d'autre ? Je suis un Changeling ? Mais non c'est con c'est une très mauvaise idée !
Mes yeux se posèrent sur sa patte mécanique et l'inspiration revint.

" Les infirmières ont dit que tu n'avais rien d'autre que des hématomes au-dessus de la jambe. Tu peux déjà t'en aller du tu veux...

Du coup elles ont mis un peu de baume anti-douleur... Si ça fait toujours un peu mal tu peux en redemander..."

Elle avait sûrement mieux à faire.
Je m'assit à côté d'elle, un peu à distance pour éviter de trop empiéter sur son intimité et lui sourit gentillement, sans le rendre compte que je rougissait encore.

La guilde? Je ne voyais guère de quoi parlait-il, mais au moins, j'étais bel et bien en sécurité. Et puis n'avoir dormis qu'une dizaine de minutes me soulageait, cela signifiait au moins que mes éventuels heurts étaient bénins. Et le fait qu'un baume anesthésiant ait été appliqué sur mes blessures justifiait que je ne ressentisse point de douleur. En me concentrant sur ma patte, j'éprouvai un léger picotement, mais rien de dramatique, ma faiblesse n'était due qu'à la fatigue. Je m'étais levée tôt ce matin, dans le train, et ma journée ajoutée à cette soirée mouvementée était difficile à tenir.

Je me rendis soudain compte que LoneWolf souriait en rougissant. À cette vue je sentis aussi mes joues s'empourprer et je baissai le regard. Je ne comprenais pas mes sentiments. D'un côté, je voulais simplement le saluer et partir pour finir ma nuit chez moi, mais de l'autre, je voulais rester un peu en sa présence. Peut-être me sentais-je un peu protégée à son côté? Je n'arrivais pas à faire la part de mes émotions contradictoires. C'était un inconnu dont je ne connaissais que le patronyme et l'appartenance à une "guilde", mais pourtant, je n'osais soutenir son regard. Il s'agissait d'un sentiment totalement inédit pour moi. La partie de moi qui s'accrochait à lui semblait juste espérer qu'il s'approcha, mais sans moi-même oser faire le premier pas. C'était ridicule.

Toussotant légèrement pour me donner une contenance, je répondis à sa remarque:

"Merci beaucoup pour la proposition, mais ça ira... Ma patte n'est pas douloureuse, je devrais être capable de rentrer chez moi."

Alors que je glissai hors du lit par à-coup, atterrissant sur mes pattes avec un léger rictus pour retrouver un équilibre un tant soit peu stable, une idée me vint. Une idée qui venait de ce sentiment qui me laissait perplexe et qui interférait avec mes réactions usuelles. Et pourtant, une idée que je trouvai extrêmement pertinente et bien placée. Hésitant quelque instants en entrouvrant puis refermant la bouche, je tournai le visage vers le poney, forçant mon regard fuyant à se fixer sur lui, et lui demandai d'une voix bien trop aiguë pour être mon ton naturel. Je le mis sur le coup de la fatigue, reprenant le vouvoiement poli qui m'avait malencontreusement échappé plus tôt:

"Vous... Je ne sais par où me diriger pour rejoindre ma maison... Pourriez-vous me... m'accompagner? Si cela ne vous gêne pas évidemment..."

La voir manquer défaillir et trébucher me fit immédiatement réagir pour l'aider, l'instant d'après j'avais doucement pris son sabot afin qu'elle se stabilise plus facilement.

"Oui ça ne me pose aucun problème. Un superbe héros aide toujours les personnes dans le besoin."

Oui c'était important de rappeler que je suis superbe.
Je fis signe de la tête à l'infirmière pour lui dire que tout allait bien et que je la raccompagnait, elle eut un petit sourire en nous voyant tous les deux comme cela avec les pommettes roses. Le chemin vers la sortie du bâtiment fut plutôt calme, son sabot toujours avec moi. C'était dans un silence confortable que je la laissais retrouver les dernières brides de sa conscience en me demandant à quoi elle pouvait bien penser, mais dans tout les cas, ça n'appartenait bien qu'à elle.

"On est dans le bâtiment de la guilde des petits aventuriers, l'organisme dont je v... J'avais parler ce matin. Même si on est pas une guide très puissante ou influente mais on a une bonne réputation et par exemple : cette bâtisse nous a été offert par le maire local.
Comme ça tout le monde est content."

J'avais hésité, sur ce vouvoiement qui se voulait distant par courtoisie, distance qui m'était resté en travers de la gorge, presque littéralement pour le coup.
Une fois dehors, je relâchai avec douceur et un peu de regret sa patte, je ne voulais en aucun cas la forcer de quelque façon que ce soit. Je plongeai un instant mon regard dans le sien, mon cœur s'emballa soudainement pour une raison qui m'échappait et que je fuyais inconsciemment. Et c'était avec une aura de gentillesse, un sourire mignon, un regard attendri que j'osai lui demander :

"Ça va aller ? Ou faut-il encore que je vous aide à marcher, ça ne me pose aucun problème ne vous inquiétez pas ~"

Je l'avais finalement vouvoyé.

Ce n'était pas si mal, la tutoyer aurait été vu comme rustre, vulgaire ou au moins familier. Mais je regrettais un peu de ne pas pouvoir être "familier" avec elles.

Les conventions sociales...

Je reçus son aide avec soulagement. Était-ce car il m'avait empêché de trébucher, ou simplement car son sabot était en contact avec le mien? Le simple fait que je puisse me poser cette question me fit rosir. Voyons, il n'était pas question de contact physique! Il m'avait sauvé d'un position gênante, rien d'autre! Mais à quoi pensai-je?... Pourquoi étais-je aussi heureuse qu'il accepte de m'accompagner? Cela ne faisait aucun sens...

Je profitai d'un petit échange avec l'infirmière pour glisser un regard vers lui, détaillant le profil de son visage et la couleur de ses yeux, son beau sourire et son fier regard. Et je détournai le mien avant qu'il ne se rende que je l'épiais. Mon comportement ne suivait aucune logique, c'était absurde, je me reconnaissais à peine. Où donc était passée ma bienséance habituelle? Quand je vis le regard amusée de l'infirmière quand nous la dépassâmes, je me tendis inconsciemment. Mais qu'imaginait-elle donc?

Après un petit silence tranquille, rythmé par les gémissements de mon exosquelette, LoneWolf entreprit de m'expliquer ce qu'était cette guilde, la guilde des "petits aventuriers" comme il la désignait. Je tiquai un instant sur le début de vouvoiement qu'il avait retenu, mais fis immédiatement disparaître l'ombre qui avait voilé mon regard. La distance instaurée par un simple pronom peut être insupportablement grande. Pourtant il l'avait retenu. Cela voulait-il dire qu'il essayait de supprimer cette distance? Voyons Zenith, calme-toi, depuis quand t'arrêtes-tu sur ce genre de détails futiles? Il est simplement question de politesse, il ne faut pas chercher plus loin. Oui... des détails futiles... Je me rendais à peine compte que chacune de mes pensées se traduisait par un léger mouvement d'oreille, un rabaissement ou un haussement incontrôlable. D'habitude, ce genre de méthode d'expression était parfaitement sous contrôle pour me permettre d'afficher un visage neutre et poli en toutes circonstances. Sans doute la fatigue me faisait-elle perdre mes moyens...

Il lâcha ma patte... Regardant un instant le sabot qui reposait à présent sur le sol froid, je relevai le visage et fut soudain captivée par son regard. Rougissant de ce contact visuel prolongé, je reportai mon attention vers le sol avec si peu de naturel que je me serait frappée pour essayer de remettre mes idées en place. Quand il me proposa de m'accompagner jusqu'à chez moi, j'acceptai un peu trop vite par rapport au temps de réflexion conventionnel pour ce genre de proposition. Je m'habituai un peu au vouvoiement. À froid, un tutoiement était peut-être un peu prématuré. Mais je voulais juste passer un peu plus de temps avec lui, en apprendre plus. Afin que ma petite voix moralisatrice ne puisse plus me reprocher de m'attarder ainsi sur un inconnu. Je lui répondis en souriant:

"Eh bien... je voudrais volontiers encore un peu d'aide... Puisque je connais peu cette ville, pour rejoindre ma maison..."

Une grande satisfaction m'envahissais quand je pouvais ainsi allier l'utile à l'agréable. J'agissais comme je le souhaitais et sans le moindre remord. Nous conversâmes par à-coups durant le trajet, lui m'expliquant son rôle dans sa guilde, moi lui décrivant le métier quotidien de Forgeron... La conversation était assez simple et sans grandes implications ou débats, je me contentais de l'écouter d'une oreille, profitant du doux timbre de sa voix et de son parler à la fois un peu rustique mais néanmoins mélodieux. Je profitais de chaque occasion pour le détailler un peu, tentant de déterminer des traits de sa personnalité selon sa tenue et ses paroles. Je remarquais qu'il ne s'attardait jamais sur son passé, j'imaginais qu'il s'agissait d'une forme de timidité.

Le trajet dura peut-être un quart d'heure ou une demi-heure, mais il me sembla ne durer que quelques minutes. Quand j'atteignis le pas de ma porte, une petite mélancolie m'envahit. Je me retournai face à lui, ouvrant la bouche, puis la refermant presque aussitôt. Je ne voulais... Je ne pouvais pas me contenter de le remercier, de lui souhaiter une bonne nuit et ne plus le revoir. Je cherchai une idée puis souris quand elle me vint. Je lui dis doucement:

"J'aimerais bien... vous remercier d'une meilleur façon à propos de ce soir... Serais-... Seriez-vous libre pour aller déjeuner ou dîner quelque par demain?"

Pourquoi m'acharnai-je à maintenir ce vouvoiement?

J'aurais voulu que cette douce balade nocturne dure encore plus longtemps, mais je nous avais déjà fait faire un petit détour et il ne faut pas abuser des bonnes choses.

Pendant le trajet, nous eûmes le temps de discuter à propos de notre quotidien à chacun, je lui parlais des services que je rendais régulièrement avec la guilde : des courses, des sauvetages, des envois de messages et parfois même d'autres services plus... combatifs.
Elle, m'expliquait diverses petites choses sur son travail de Forgeuse, les principales raisons pour lesquels on venait la voir, les anecdotes amusantes auxquels elle avait à faire. Mais rien à peu propos de sa patte, elle ne voulait probablement pas en parler : c'était facile de deviner qu'elle n'avait pas choisi de se munir de cette prothèse.

Le moment fatidique arriva sans crier gare, me surprenant avec une légère secousse de frustration. Secousse dont je ne saisissais le véritable sens.
Pourquoi cela me déplaisait autant de me séparer d'elle ?
Pourquoi arrivait-elle à me déstabiliser autant ?
Pourquoi son sourire me rappelait-elle Flora ?

Tel un éclair, un flash-back de sa mort fusa dans mon esprit pour tout balayer !

Je repris vivement les esprits alors qu'elle m'offrit une proposition que me faisait chaud au cœur : elle voulait que l'on se revoit, lors d'un dîner, d'un déjeuner.

"Oh oui volontiers, je connais un petit restaurant tout juste à l'entrée du quartier commercial que je vous avais présenté : c'est le premier avec une terrasse et il a une grande pancarte en forme de glace. Je ne sais pas si vous avez mieux ?"

Je me doutais un peu du fait qu'elle ne connaisse aucun restaurant ici, mais je préférais vérifier avant. Une courtoisie n'est jamais de trop.

"Demain midi pile, j'espère que c'est bon pour toi ?"

Ce mot sortit tel une maladresse : un oubli, une étourderie qui me dit reculer d'un pas. J'avais brisé ce vouvoiement comme on brise une promesse sous l'effet de l'alcool, mais je n'étais sensé être touché d'aucune ivresse, "sensé"...

"Je vous invite et pour le repas, je vous réserve la surprise. Sur ce, je vous souhaite une douce nuit."

Je pris son sabot pour y déposer un petit baiser. J'essayais tant bien que mal de me rattraper après cette erreur de vulgarité. Ce petit mot tournait eh rond dans ma tête alors que je me demandais à quoi elle pouvait penser.

Je voulais m'enfuir sur le coup.

Heureusement, il accepta ma proposition. Et encore, ce mélange de tutoiement et de vouvoiement vint gêner la conversation... Après un délicat baise-sabot, j'eus l'impression de tellement rosir que mon pelage allait définitivement changer de couleur. J'espérais que la luminosité serait suffisamment faible pour que cela ne lui saute pas aux yeux. Après un chaleureux au revoir, je rentrai dans la maison, le regardant faire quelques pas de dos avant de fermer la porte.

Rallumant la lumière dans l'habitation,  je vis qu'il était déjà plus d'une heure du matin. Veiller aussi tard n'était pas raisonnable... Je déposai mes affaires dans le salon et m'installai sur le canapé, fixant le sabot qu'il avait si soigneusement embrassé d'un air absent. Il faisait preuve d'une telle délicatesse... Pourtant, cette pratique n'était pas si rare, et on m'avait déjà baisé la patte ainsi à de nombreuses réception, que ce soit pour amuser la petite pouliche que j'étais, ou uniquement par soigneuse politesse depuis que j'étais devenue plus mature.

Il fallait cependant que je dorme, les événements du soir m'avait épuisé. Je rejoignis ma chambre après avoir fait un brin de toilette, et m'installa confortablement dans mes draps. Ils me semblaient bien froids après cette soirée qui m'avait donné si chaud. L'absence de LoneWolf me pesait, je repensais à nos conversations, les repassant sans cesse dans mon esprit. Était-ce juste mon imagination? Cette soirée avait-elle réellement eut lieu? Quand je rentrerai, garderons-nous toujours le contact?

Partageait-il cette étrange affection que je lui portais?

Toutes ces questions se ressassaient encore et encore, et l'idée que l'une des réponses puisse être négative m'était insupportable. Je me rappelai d'un coup que je devais rentrer le lendemain et cette pensée me serra le cœur. Malgré l'heure tardive, admettant enfin que je n'allais pouvoir aisément m'endormir ce soir, je me relevai et retournai dans le salon. Voir que ma magie était toujours rouge quand je saisis un parchemin me fit comprendre que je n'étais toujours pas calmée. Soupirant, je pris ma plume et mon pot d'encre et commençai à rédiger une lettre pour mes parents.

J'y écrivais que j'avais bien rencontré mes cousins et qu'ils allaient tous bien, qu'Aurora était vraiment magnifique. J'y écrivais aussi que j'y avais rencontré quelqu'un et que... Non, il ne valait mieux pas dire ça... ils pourraient s'imaginer des... Bref. Je corrigeai et j'écrivis que la ville me plaisait et que je souhaitai y passer un peu plus de temps, pour profiter de ces petites vacances. Après l'avoir relu, j’acquiesçai pour moi-même et la cachetai, la laissant sur la table. Je la confierais à un postier demain.

Je regardai l'heure: 3h46. Soupirant, je me résignai à retourner dans ma couche pour dormir. Il fallait que je soit en forme demain. J'activai le réveil pour 10h30, afin de ne pas être en retard tout en ayant une nuit suffisante, et me couchai. C'est avec à l'esprit cette idée que j'allais rester quelques jours de plus avec le poney que Morphée me prit dans ses bras.

Mon réveil me tira de ma courte nuit le lendemain, et je m’attelai directement à ma préparation. Me lavant et prenant un rapide petit déjeuner, je sortis sous le jour lumineux en mordillant mon éternel tournevis. Je postai la lettre, fis un peu de repérage en ville, admirai quelques fontaines remarquables et demandai mon chemin pour rejoindre le petit restaurant dont il m'avait parlé. Il n'était pas question d'être en retard pour cette fois et j'arrivai avec cinq minutes d'avance, presque en même temps que lui.

Faisant léviter mon tournevis jusqu'à mon sac grâce à une magie légèrement rouge, je saluai mon ami avec un grand sourire:

"Bonjour LoneWolf! Tu as bien dormi?"

Le tutoiement était venu si naturellement après avoir passé la nuit à songer à lui que je ne réprimai ni le reniai, l'acceptant finalement. Je considérai que je ne voulais plus le considérer comme une simple connaissance ou comme un inconnu, je ne voulais plus de cette stupide distance orale.

Un dernier signe de la patte et j'étais déjà reparti, me dirigeant vers ce restaurant : la "Grande Glace".

Le chemin et le repas là-bas passèrent très vite à mes yeux, mon esprit aspirant à autre chose. Je me demandais toujours à quoi elle pensait, comment elle me voyait de son côté. J'en profitai pour demander à la gérante si je pouvais réserver une table pour le lendemain, et c'est avec excitation qu'elle accepta. Elle devait sûrement s'imaginer des choses, enfin...


Je reparti et arrivai là encore très vite dans ma petite chambredu dortoir de la guilde. Je repris ma forme normale, me déshabillai et rangeai mes affaires avant de partir prendre une douche tranquille de 2h du matin. C'est vrai que c'est difficile de trouver des poneys ici à cette heure-là.

Une fois propre, je m'allongeai sur mon lit, laissant mon esprit flotter aux grès des mes pensées, toutes tournant autour de Zenith. Je ne l'avais rencontré qu'aujourd'hui mais... je ne sais pas... j'avais déjà de l'affection pour elle...

Est-ce qu'elle avait ce même attachement pour moi ?

Je réfléchis à cela pendant de longue minuttes avant de me laisser doucement emporté dans je monde des rêves, où je la retrouvai radieuse. Décidément, elle avait bien pris une place importante dans mes pensées.


Le lendemain, c'était avec impatience que je me levais et avec trépidance que j'attendis jusqu'à midi, étreint entre angoisse et excitation.

Mais lorsque je la vis, le tout se dissipa légèrement et se mélangea pour former un sentiment trouble dans mon ventre alors que mon coeur s'embalait d'un coup.

"Oh eh j'ai eu des rêves un peu mouvementés mais ça allait, et toi ?"

Les rêves en question étaient bien trop intimes pour que je ne lui en parle, j'en avais honte moi même. Et j'avais remarqué avec soulagement qu'elle avait abandonné le vouvoiement.

Je nous menai à notre table et ce fut avec stupéfaction intérieure que je vis la gérante nous servir poliment les entrées salades elle-même, elle sûrement prévu de nous espionner tout le long du repas. Quoi de plus gênant...

Mais, une fois installé, s'installa à son tour un silence léger lorsque nous regards plongèrent l'un dans l'autre. D'un côté je voulais rompre ce silence, de l'autre je ne voulais pas la quitter des yeux...

Après un long mais doux instant, je me résignai à interrompe ce petit moment avant qu'il ne devienne trop gênant.

"Pour ce qui est de l'entrée et du plat de résistance, c'est assez classique mais ce sera le dessert sucré qui sera le plus intéressant.

Enfin, surtout si tu accepte de jouer le jeu le moment venu ~"

Une omelette aux fines herbes nous attendait après la sallade accompagnée de tomates. Mais le plus important allait être le final, dont j'avais moi même confectionné la recette.

J'espèrais seulement qu'elle ne soit pas trop sensible aux alcools cependant.

Nous nous essayâmes en terrasse à une fort agréable table donnant sur une magnifique fontaine de cristal vert, qui trônait au centre d'un jeu de lumière provoqué par l'eau qui en jaillissait. Le sol était pavé de roches scintillant d'un éclat clair et les quelques maisons et commerces qui cernaient la petite agora affichaient les sphères lumineuses caractéristiques d'Aurora. L'image était si agréable que nous parlions peu, échangeant un regard complice simple mais curieusement assez fort.

Il arrive souvent d'avoir à faire à des silences longs et parfois gênants, mais celui qui s'installa n'était pas de ceux-ci. Nous n'avions pas besoin de parler, donc nous ne parlions pas, rien de plus. Nous échangions parfois quelques paroles sur un élément du décor, échangeant des sourires amusés, mais sans plus.

Pour ma part, je dégustais avec délice la salade que la serveuse, qui semblait être la gérante, nous avait servi. Elle était succulente, fraîche, avec une vinaigrette judicieusement proportionnée offrant un goût agréable sans pour autant être omniprésent. La salade contenait en plus de petits croûtons ramollis par la sauce, mais qui rajoutaient un croquant plutôt bienvenu. Sans oublier des petits cubes de fromage et quelques tranches de tomates. Le plat rafraîchit confortablement mon corps qui me semblait brûler malgré l'air doux.

LoneWolf me parla du dessert qui viendrait à la suite, qui serait "plus intéressant". J'avais hâte de goûter ce plat qu'il vantait meilleur que l'entrée que l'on venait de nous servir. J'avais hâte de le goûter. Mais que voulait-il dire par "jouer le jeu"? Y avait-il une animation en même temps, ou une manière particulière pour bien en profiter? De toutes façons, je n'aurais aucune raison de m'y opposer, ce n'est pas comme si j'avais besoin d'être méfiante.

La gérante revint, desservit les assiettes à entrée en souriant d'un air amusé, et repartit en cuisine. Je regardai Wolf avec perplexité et il leva les yeux au ciel en rougissant, faisant naître un sourire sur mes lèvres. C'est à ce moment que la jument revint et plaça les plats principaux: des omelettes aux fines herbes.

Elle était aussi délicieuse que l'entrée, bien cuite mais un peu fondante, aromatisée avec soin, ne manquant ni de sel, ni d'assaisonnement. Je la mangeant en fermant les yeux pour profiter de sa texture sur ma langue et croisai le regard de mon ami en les rouvrant. Nous restâmes à nouveau quelques instants ainsi à nous observer et après un long moment qui ne me parut durer que quelques secondes, quand nous eûmes fini le plat, la gérante qui s'occupait d'une table à côté revint vers nous.

Elle nous demanda si nous avions apprécié la cuisson et nous lui répondîmes par une sincère affirmation. Elle plaça nos assiettes et nos couverts sur son plateau, fit un clin d’œil à LoneWolf, éveillant ma curiosité, et disparut dans les cuisines. Elle en ressortit peu après, mais je n'arrivai pas à distinguer ce qu'elle nous apportait...

Le vent soufflait légèrement, une brise mélodieuse. Les gens dans la rue parlait avec le sourire. Certains cris de joie éloignée enfantins pouvait vaguement se faire entendre. L'air était léger et faiblement parfumé d'une douce odeur de forêt, Aurora respirait la nature.

Je pouvais admirer une énième fois ces quartiers illuminés avec une étrange douceur, mais les yeux ne voulaient pas quitter, rencontrant timidement ses regards, comblant gentillement nos silences des moins pesants.

J'observais ses mimiques préservatrices de la noblesse qu'elle essayait malgré elle d'effacer. Je remarquais un petit tic isolé au niveau de ses lèvres qu'elle tentait de mordiller inconsciemment. J'admirais timidement les reflets de sa crinière, la splendeur de son pelage, l'éclat de ses yeux qui me troublaient d'une façon étrangement agréable lorsque je me plongeais.

Il m'arriva tout de même de manger un peu, principalement pour éviter de trop peser dé mon admiration sur elle. Jamais je ne m'étais autant émerveillé à la vue d'une personne. Lorsqu'elle me parlait, qu'elle m'effleurait, qu'elle m'adressait un regard, mon cœur s'emballait chaleureusement avant même que je n'avais le temps d'y penser. Jamais quelqu'un n'avait réussit à tant que chambouler...

Le retour de la gérante me surprit, je ne l'avais pas vue venir. Même si - comme tout bon traqueur - je savais faire preuve de vigilance, je ne l'avais pas vu venir. À croire que Zenith avait bien plus de pouvoir sur moi que je ne le pensais...

La gérante nous desservit et nous servit d'une unique mouvement fluide et s'éloigna furtivement en m'envoyant un un regard qui voulait dire " Vous êtes mignons tous les deux", et je lui répondis, les pommette roses "Peut-être ~.

Le repas était sensé être le même, mais il me paraissait meilleur que d'habitude. Est-ce que la gérante avait fait des efforts pour nous deux, ou était-ce encore la présence de Zenith qui affectait mes sens ? J'imagine qu'il s'agissait d'un mélange des deux...

L'omelette fut mangée rapidement, je ne vis pas le temps passer sur je voyais déjà le dos de la gérante qui sortait à reculons, le dessert soigneusement dissimulé devant elle.

Je me levai et me précipitai derrière Zenith pour lui cacher doucement les yeux malgré mon excitation : le jeu allait commencer !

"C'est un dessert que j'ai préparé moi-même, je te laisse deviner ce que c'est ~ "

Alors que l'on pouvait sentir mon sourire dans le ton de ma voix, je m'efforçais de ne pas avoir de gestes trop intimes envers elle. Je contractais presque tout mon corps pour éviter une caresse accidentelle ou un effleurement maladroit. Mais il me semblait l'enlacer légèrement malgré tout.

Elle vint poser le dessert, sourit amusée et reparti. Je dis alors à Zenith qu'elle pouvait commencer.

Devant elle : une cuillère, et dans une assiette creuse, une boule de glace goût rose, et un peu plus loin, une vraie rose au milieu de la table. C'était un ajout imprévu de la gérante. Je sentais que tout le monde nous observait à ce moment précis...

Une vive vague d'anxiété s'écoula en moi en un instant, qu'elle réponde juste ou non n'était pas important, je voulais qu'elle apprécie ma création.

Une glace parfumée à la rose.

Alors que la gérante s'approchait et que j'étais sur le point de connaître la teneur du dessert, LoneWolf arriva derrière moi avec une agilité surprenante et déposa ses sabots devant mes yeux. La surprise m'avait immobilisé, et le temps que je retrouve mes moyens, je m'étais bien rendue compte que je ne risquais absolument rien.

Sentir son torse effleurer mon dos à chacune de ses respirations... Son doux souffle sur ma nuque... Ses pattes touchant mon visage... Son agréable parfum qui m'entourait de partout... Ah, j'avais l'impression de perdre la tête. Je me relâchai subrepticement pour m'appuyer un peu sur lui, profitant du contact chaud de son corps contre le mien. Rougissais-je? Très probablement. Chacun de ses tressaillements, de ses petits mouvements et sursauts, chacun de ses effleurements involontaires étaient tout autant de caresses qui me faisaient presque frissonner. Je me sentais comme dans un cocon, avec lui autour de moi. Mes pattes avants, tendues, s'appuyaient instinctivement sur mon ventre pour unifier la chaleur qui était amenée à mon corps.

"C'est un dessert que j'ai préparé moi-même, je te laisse deviner ce que c'est ~ "

Il souffla ainsi de son petit ton amusé dans mon oreille, me les faisant trembloter. La petite voix moralisatrice qui me hantait depuis qu'il m'avait sauvé s'était tue, n'ayant plus assez de force pour m'ébranler. Je me sentais bien à ses côtés, c'était tout ce qui comptait. Peu importe la morale ou l'éducation, pour la première fois de ma vie, ma famille avait totalement quitté mes pensées. Ma semi-transe cessa brusquement quand il me dit que je pouvais commencer à manger. Levant le sabot droit avec hésitation, je tâtai la table à la recherche de la cuillère. La fraîcheur du vent sur mon ventre quand ma patte s'éloigna me prouva à quel point j'avais chaud...

Quand j'eus localisé le bout métallique sous ma patte, je le saisis par lévitation, le décalai lentement sur le côté jusqu'à le sentir pénétrer quelque chose de mou, et portai le couvert à ma bouche. Sans grande surprise, la cuillère était brûlante, il fallait que je calme ma magie rouge. Cependant, c'est avec une certaine joie que je sentis le contact froid du dessert sur mon palais. Une glace, exactement ce qu'il me fallait pour me rafraîchir! Le changement de température me fit légèrement frissonner, et je retirai le couvert de ma bouche pour laisser couler l'aliment sur ma langue.

J'étais hésitante. Ce goût m'étais familier, mais il était un peu étrange. Il n'était pas déplaisant, loin de là, mais il ne s'agissait pas de l'un de mes parfums favoris... Je passai quelques instants à réfléchir, et quand le sorbet eut totalement fondu sur ma langue, je l'avalai et dis à mon ami, en en prenant une nouvelle cuillerée:

"Je... Il me semble que je reconnais le goût, mais... Mince, je l'ai sur le bout de la langue..."

Je pris la seconde bouchée, inspirant lentement pour tenter d'exacerber le goût du met. Un parfum vint jusqu'à mes narines, porté par la légère brise. Un parfum connu. Un parfum de fleur.

Un parfum de rose.

Je souris, avalant ce qui trônait déjà sur ma langue et prenant à nouveau une cuillère de cette glace, pour confirmer ma déduction. Oui, c'était bien ça. Portant mon sabot jusqu'à mon visage, je repoussai délicatement ceux du poney, en chantonnant tranquillement:

"Ah, trouvé ~"

Après quelques minutes de cette cécité, l'astre de Célestia m'éblouit et mes paupières papillonnèrent quelques instants, avant que je ne retrouve la vue. Je tournai le visage vers LoneWolf avec un air amusé. Il s'était un peu éloigné de moi, mettant fin à cette curieuse étreinte. J'avais soudainement froid. Embrassant la table du regard, je vis ma boule de glace de couleur pâle, entamée au milieu d'une soucoupe. En face, un autre dessert identique encore intact trônait, et au milieu de la table, un vase fin portait la fameuse fleur rouge. Reportant mon regard sur lui, je lui annonçai:

"Goût rose c'est cela? Dépêche-toi de goûter la tienne, ça serait dommage de la laisser fondre..."

Je lui offris un autre sourire, avant de porter doucement le dos de mon sabot à ma joue, pour me donner une contenance. Elle était brûlante...

Elle venait de deviner en moins de trente secondes...

C'était avec une petite moue déçue que je repris ma place et c'est encore une fois en un temps record qu'elle me l'effaça gentillement. C'était apparemment une glace d'une onctuosité remarquable, et elle continua de m'arroser de compliments toute l'après midi dans les scintillantes rues d'Aurora.

Le soir venu, elle m'annonça qu'elle repartait le lendemain pour le Solar Empire, mais qu'elle accepterait volontiers de passer cette dernière journée avec moi.

C'est ce qui se passa.
Cette fois-ci ce fut une balade en forêt que je nous avais préparé, rien de bien complexe, mais le paysage n'était que secondaire quand il y avait son visage.

Très vite, l'heure de se quitter sonna. Et malgré cette douce promenade chatoyante on ne se sépara qu'avec un baiser sur la joue. On voulait tout les deux plus, bien plus, mais les deux timides poneys que l'on était n'osaient pas.

On est restés les yeux dans les yeux jusqu'à ce que l'horizon me la prenne. Je soupirai longuement, empli de mélancolie. Je savais que nos retrouvailles allaient tarder, mais on n'avait pas vraiment le choix, on n'avait chacun notre vie, nos responsabilité, et surtout notre nation...


"J'espère vous revoir bientôt, Milady ~ "