Qui va à la chasse... - Forge Lune - /!\-16ANS

Un pégase bleu, seul. Pauvre enfant. Qu'elle idée de se promener ici, à la merci de la fureur de la nature? Parmi tous les endroits sur Equestria, il avait choisi Hayseed Swamps, bien des poneys surnommant cet endroit le purgatoire. Tu fais bien d'avoir peur, pégase. Tu penses que tu as l'impression d'être observé, mais ce n'est pas une impression. Il est là, dans le brouillard. Il connaît cet endroit et est protégé de sa folie, enfanté par la noirceur elle-même. Ton destin se tient dans tes sabots en ce moment même, le sais-tu? Tu es à la croisée des chemins, pégase. Un des chemins te permettra peut-être de vivre, mais si tu te trompes...

...ton sang coulera dans les veines d'un autre.


Red attendait son heure, patient. Il l'est toujours lorsqu'il vient le temps de jouer. Un simple jeu du destin à ses yeux, un jeu mortel pour ceux qui participent avec lui. Si certains trouvent cet endroit oppressant, lui adore passer du temps ici. Son côté poétique trouve que cela concorde plutôt bien avec ce qui se passe dans son esprit. Tapis dans l'ombre, cela doit faire une bonne heure qu'il suit ce mâle. Qu'importe les raisons qui ont poussés cet idiot à parcourir cette terre maudite, le résultat sera le même. Le pégase marche lentement, marmonnant des choses que le changeling ne peut pas comprendre. La folie est-elle déjà en train de l'atteindre? Se léchant lentement les lèvres, le nécromancien se dit qu'il serait bientôt temps pour lui d'entrer en scène. Dommage qu'il soit trop loin de sa boutique, il allait devoir faire le tri dans les morceaux qu'il allait amener. Sanguinaire s'impatientait dans sa cage ce matin, le pauvre reptile était affamé. Red allait lui faire cadeau d'un bon cœur encore chaud, le crocodile allait adorer. Un sourire déforma son visage, le changeling se déplaçant lentement dans la brume, sans bruit. Il avait attendu de voir si le pégase attendait des compagnons, mais personne n'était venu pour cette pauvre âme. Il devait bien savoir que cet endroit signifiait bien souvent la mort, alors pourquoi venir? Un suicidaire? Un autre nécromancien en quête de cadavres faciles? Non, il semblait trop pur pour cela. Il n'y avait qu'un moyen de le savoir, passer à l'attaque et finir cette chasse qui durait depuis déjà trop longtemps.

Au fur et à mesure qu'il avançait, le changeling changeait de forme. Il devenait de plus en plus petit, sa peau noire passant au rose. Contournant un arbre, il avançait directement vers le pégase, ayant à présent l'apparence d'une petite ponette toute douce. Confronter sa proie à une enfant était un bon moyen de voir comment il allait réagir par la suite, lui permettant de voir s'il était aussi fourbe que lui. Prenant un air effrayé, il prit la parole, modifiant sa voix pour être plus aiguë.

« Monsieur... »

Le pégase sursauta, se retournant vers lui à toute allure. Red ressentait un certain plaisir à le voir paniquer de la sorte, même si cela voulait dire que la viande serait plus raide. Difficile de ne pas faire stresser les proies. Restant à une distance raisonnable de lui, le changeling espérait qu'il ne partirait pas en courant. Pour l'instant le mâle bleu restait là, visiblement rassuré en voyant qu'il avait à faire qu'à une enfant. Restant à sa place, il prit la parole, essayant de cacher sa nervosité.

« C'est pas un endroit pour toi, petite. »
« Mon papa m'a dit qu'il reviendrait bientôt, vous l'avez vu? »

Comme ça il avait affaire avec une bonne âme. Ce n'était pas cela qui allait le protéger ici, loin de là. Sa pitié allait avoir raison de lui. Avançant quelque pas de plus, Red avait des larmes qui coulaient le long de ses joues, maître dans l'art de les avoir sur commande. Le pégase semblait hésiter encore et il faisait bien, cela rajoutait du piquant au jeu. Reniflant bruyamment, l'enfant posa son arrière-train au sol, parlant à haute voix.

« Je veux mon papa ! »
« Baisse le son, bordel de... juste... baisse le son. »

Il était effrayé, le pauvre pégase. Le coeur de Red battait à la chamade, excité par ce qui se passait. Quoi, la bonne âme essayait de partir ? Ne voulait-il donc pas aider le bébé à retrouver son papa ? Se relevant rapidement, le changeling continua sa mise en scène, criant au pégase qui s'éloignait.

« VOUS ALLEZ ME LAISSER MOURIR TOUTE SEULE !? »

Le lâche se retourna, la bouche s'ouvrant sous la peur. La ponette était en train de se déformer, le nécromancien reprenant lentement sa forme originelle. La terreur qu'il voyait chez le pégase le galvanisait, sa langue claquant dans son palais. Il se devait de goûter son sang, il fallait qu'il le fasse jaillir de ses veines.

« Pauvre fou. »

Le pégase s'était retourné, partant à la course. Le changeling se mit à rire, se mettant à trotter à sa suite. Il connaissait cet endroit par cœur, le pégase ne s'échapperait pas aussi facilement.

La chasse ne faisait que commencer.

Chasse qui ne faisait que commencer ; chasse partagée.

La petite scène avait en effet eu pour témoin privilégié un bat embusqué dans les frondaisons. Un bat affamé qui se voyait contrarié de constater que sa proie avait eu un autre chasseur que lui. Peste de malchance. Fallait-il que son fournisseur habituel soit vanné pour qu'il soit obligé de chasser dans ces marais puants et qu'en prime le pégase qu'il filait depuis un bon quart d'heure soit la cible d'un concurrent ? Une vague de contrariété et il plaquait ses oreilles contre son crâne, retenant le grondement guttural et sourd qui roulait dans son vaste poitrail. S'il n'avait pas eu aussi faim il n'aurait pas insisté et se serait cherché quelque chose d'autre à se mettre sous les crocs. Parce qu'il n'aimait pas l'idée d'avoir un témoin gênant à ses chasses, parce qu'il n'aimait pas non plus l'idée de partager et...

Et tout bêtement parce qu'il n'avait pas assez confiance dans les membres de sa patrie d'adoption pour se risquer à concurrencer un possible mage contre lequel il se retrouverait bien démuni... Les armes, il gérait. Il pouvait esquiver, il pouvait s'envoler. Mais tous ces machins occultes auxquels il ne comprenait rien avaient tendance à le faire réfléchir à deux fois avant d'agresser - façon de parler s'entend - un changeling.

Une deux... le temps de réfléchir et d'hésiter que déjà, les formes indistinctes de ses deux points de focale s'évanouissaient dans la brume omniprésente. Ce qui aurait pour d'autres relevé d'un handicap majeur ne lui demanda qu'une rapide adaptation de ses méthodes de chasse. Dans un froissement soyeux d'ailes qui se déplient il se décrocha de son perchoir et émit plusieurs cris silencieux pour se repérer. Branches basses, végétation piégeuse, le batpony survola la chape traîtresse qu'il sonda jusqu'à retrouver dans son radar mental ces deux points de fuite qui s'éloignaient de lui à grande vitesse.

Une bouffée d'adrénaline et la créature sombre accélérait, prise bien malgré elle à ce jeu cruel et pourtant instinctif.

Il ne savait pas encore s'il allait l'acculer. Le changeling, pas le pégase. A bien y réfléchir les deals avec les changelings qui pouvaient accepter de vampiriser ses sentiments dont il ne voulait pas l'arrangeaient bien davantage que de s'assurer que le pégase fermait sa mouille et n'aille pas éventer qu'il était un sucer de sang. Peut-être. Pour l'heure, il se contentait de le suivre à distance, au dessus, tout en gardant l'option du pégase par devers lui.

La traque ne faisait que commencer, il attendrait pour prendre sa décision qu'il l'accule... alors seulement il entrerait en scène.

Spoiler:

Ses sabots faisaient à peine de bruits en trottinant, le changeling gardant son rythme malgré la course effrénée de sa victime. Le pauvre pégase allait finir par s'épuiser et Red doutait qu'il tente de s'envoler, il n'avait probablement pas vu son aile estropié. Ce serait beaucoup plus facile pour lui de le repérer dans les airs et le sommelier espérait donc le retrouver au sol, les narines frémissantes alors qu'il humait l'air à la recherche de l'odeur du sang. Il reconnaissait ce coin-si de Hayseed et souriait d'avance à l'idée de retrouver sa proie prise dans le marais. Ses sabots se prendraient-ils dans la boue? Il allait vite le savoir. Sans se douter qu'il était observé, le changeling avançait maintenant en diagonale, gardant les traces de pas bien en vue. Il fallait qu'il garde pied sur de la terre ferme, sinon il allait s'enfoncer lui-aussi. Continuant son chemin sur une petite bute herbeuse, Red se demandait quels morceaux il pourrait ramener de sa chasse. Le cœur pour Sanguinaire, bien sûr, mais les muscles des pattes seraient intéressants à rapporter. Le pauvre Light était toujours dans sa cuve d'acide et lorsque ses os seraient nettoyés, le sommelier allait pouvoir reprendre son travail de reconstruction. Malheureusement il n'avait que son hachoir sur lui et abandonna l'idée de faire un travail de chirurgien sur ce futur cadavre, se disant qu'il ne rapporterait que de quoi manger. Le terrestre allait attendre encore un peu. Red frissonna juste à y penser, claquant des canines avec impatience. Il allait être récompensé bientôt, des cris commençant à percer le silence. Des cris masculins mais assez aigus, laissant transparaître de la peur. Son émotion préféré. Le changeling suivait le son pour se guider, évitant une petite mare boueuse sur le chemin.

« Chut chut, j'arrive. »

Murmura t-il pour lui-même, cherchant dans le brouillard les traces de sa prochaine victime. Il fut surpris de la voir couché au sol, les sabots frappant le vide. Il se rapprocha pour mieux voir, curieux de comprendre ce qui avait bien pu gâter sa viande. Ah, les vapeurs toxiques. Ce pauvre idiot avait couru jusqu'à ce prendre un des gaz dans la figure, agonisant dans la boue. Le pégase se remit à crier en voyant le changeling s'approcher de lui, essayant de se remettre sur ses pattes. Red n'aimait pas les chasses trop facile et posa son postérieur sur un coin sec, regardant sans rien dire sa proie qui se remettait debout. Son teint était blême et ses yeux vibraient presque, comme s'il avait du mal à voir correctement. Le sommelier avait déjà vu les effets des vapeurs, le pégase était faible et risquait des hallucinations. Il pouvait mourir de son malaise mais en attendant, il avait assez de volonté pour vouloir se sauver de lui. Soit, le changeling n'avait rien d'autre à ce mettre sous la dent, les effets des gaz n'avaient aucun incidence sur lui de toute façon, que la viande soit toxique ou non. Red restait assis  et sa corne se mit à luire quelque secondes, la terre grondant juste à côté.

« Va-y toutou, diverti moi un peu. »

Il venait d'invoquer le cadavre d'un chien, grandement décomposé. Celui-ci marchait d'une drôle de manière, donnant l'impression qu'il allait tomber d'un moment à l'autre. Il avançait vers le pégase, qui n'était pas dans un bien meilleur état. Il bougeait plus rapidement mais respirait comme s'il manquait d'air et plissait les paupières sans arrêt. Son corps semblait vouloir se tordre sous la douleur, celui-ci ne sachant visiblement pas qui attaquer en premier entre le canidé dégoûtant et le changeling qui se tenait en retrait en souriant. Ah, toute cette peur. Cet endroit était parfait pour quelqu'un comme lui, le sommelier adorait regarder ces êtres inférieurs souffrir alors qu'eux en riaient. Ils étaient les rois de ce marais. IL était le roi de ce marais.

« Mauvaise idée. »

Le pégase avait décidé de s'attaquer à lui, essayant d'éviter le chien-cadavre qui tentait de le mordre. Il voulait la bataille, il allait l'avoir. La lame du hachoir brillait, tout juste nettoyée et aiguisée. Red était dans une sorte d'état second, les yeux fous et la bave aux lèvres. Oh oui, il rêvait de pouvoir boire directement à la source. Le pégase venait de lui envoyer une boule de feu qui brûlait légèrement son flanc gauche, celui-ci ignorant la douleur alors qu'il entaillait son genou. Le sang se mit à dégouliner le long de la jambe du pégase, excitant l'âme du meurtrier rien qu'avec cette vision. Ils reculèrent tout les deux, se jugeant du regard.

« Tu es à moi.  »

Spoiler:

Oui, clairement, il était à lui.
Un mage qui balançait des boules de feu aux naseaux de ses adversaires, voilà qui n'était pas du tout sa tasse de sang, si on lui permettait cette honteuse déformation du dicton bien connu. Du moins pas dans cette situation, puisqu'il devait reconnaître qu'un apprenti capable d'allumer ses forges en moins de deux voire de se substituer au charbon en temps de guerre avait un petit quelque chose de séduisant... Un soupir entre agacement et déception fila d'entre ses lèvres alors que toute l'excitation et le plaisir de la chasse retombait d'un coup, là. Allons bon. Que faire dans ce genre de circonstances entre attendre et partir... Il offrit un regard circulaire à la scène, fronça des naseaux dégoûtés en avisant de nouveau de cette magie déviante que le changeling nécromant avait évoqué – saleté d'engeance, c'était bien sa veine – puis poussa un autre, gros, soupir.

C'était clairement pas de son niveau, là.
Il n'avait pas les moyens de s'opposer tout court à l'un ou l'autre, n'ayant d'autres armes ou bouclier que sa carrure imposante qui dans ce cas précis lui serait aussi utile que d'entamer une valse avec un buisson. Non, le choix raisonnable serait de renoncer, rentrer bredouille de sa chasse et de ne surtout pas interférer avec un nécromant de sa patrie d'adoption en plein ravitaillement de barbac pour ses études macabres. Un frisson d’appréhension et de révulsion instinctif lui parcourut l'échine, comme à chaque confrontation avec une de ces créatures maniant la mort comme un jouet.  

L'or suivit le ballet des corps, la beauté des gestes. En amoureux des armes et en dépit de sa propre réserve et de sa décision de battre en retraite, il ne put détacher immédiatement ses yeux de la scène macabre qui se jouait en contrebats. La lame fila, rivière carmine offerte à ses sens, embaumant l'air de cette odeur douceâtre et métallique dont il se languissait tant.

Son estomac se crispa, rappelant sa faim à lui.
Tant pis.

Le batpony déploya sa large voilure couleur de nuit et se laissa planer à terre, se posant non loin de son compatriote. Les ailes toujours à demi déployées pour paraitre d'autant plus impressionnant qu'il ne l'était déjà – ou pouvoir redécoller aussitôt ? – il émit ce grondement de gorge sourd et profond de l'étalon qui s'annonce, bien que cela soit sans doute inutile. Le pégase le voyait, le changeling le percevrait aussitôt.

Si le blessé avait pensé trouver un allié potentiel dans ce nouvel arrivant il fut immédiatement douché lorsque la voix grave et posée du forgeur se fit entendre :

- Je viens pour le sang, pas pour la chair, lâcha-t-il.

Pas le temps d'en placer davantage en situation de combat. Il ne savait pas si le nécromant changeling comprendrait cette offre étrange qu'il venait de balancer et s'il l'accepterait mais... non, le sang l'appelait, il ne pouvait pas renoncer ainsi, pas sans tenter une alliance éphémère.

Du sang. Liquide des Dieux. Il le voyait couler le long du sabot de sa victime, se délectant de cette vision. Sa langue fourchue léchait l'intérieur de son palais, rêvant de pouvoir goûter l'hémoglobine du pégase. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas bu d'un cheval ailé, il allait profiter de cette occasion à chaque gorgée. Ses dents claquèrent à l'idée de transpercer de la chair, tout son corps vibrant alors qu'il se tenait prêt à attaquer de nouveau. Il ne lâchait pas le pégase du regard, chacun plongeant dans les yeux de l'autre. L'un pouvait y lire de la peur et de la détermination, l'autre uniquement de la folie. La brûlure déformait un peu la peau dure du changeling, qui ignorait la douleur, trop obnubilé par la blessure de sa proie qui continuait de couler en un mince filet. Il ne pouvait plus attendre, il devait reprendre son dû au plus vite satisfaire son palais demandant. Sa corne trouée se mit à briller faiblement alors que le cadavre du chien clopinait jusqu'à son maître, visiblement sur le point de tomber en morceaux. La lame du hachoir brillait toujours et la menace était imminente pour l'inconnu, qui devait regretter d'avoir eu l'idiotie de venir sur ce territoire maudit. Que cherchait-il donc ici pour y risquer ainsi sa vie? Red ne le saurait jamais et au final, cela lui importait peu. Le bleu était sur le point de déployer ses ailes, sa posture donnant l'impression qu'il voulait s'envoler. Chacun attendait le mouvement de l'autre, le pégase cherchant à feinter le sommelier. Celui-ci n'avait qu'une cible : les ailes de sa victime. Sans elles, plus de fuite possible. L'inconnu avait vu qu'une des siennes était amputé et il ne pouvait plus bluffer, s'il s'envolait, se serait la fin. Il ne pouvait pas le laisser partir, non. Jamais. Red n'allait pas perdre sa proie alors qu'il avait déjà commencé à la saigner, son esprit ne tiendrait pas la pression et il risquait de perdre la carte encore une fois. Il pencha légèrement la tête vers l'avant, ouvrant la bouche pour laisser échapper un filet de bave.

Un instant.

Quelque chose venait d’apparaître dans son champs de vision, calmant pendant quelque secondes la folie qui grandissait en lui. Ils n'étaient pas seuls? Relevant la tête, le changeling toisa le nouveau arrivant. Nullement impressionné par sa stature, il était surtout intrigué par les ailes de celui-ci. Le sommelier ne croisait pas souvent de Batpony, mais il savait une chose : ils méritaient plus d'attention que les autres sous-espèces de cette terre. Fasciné par cette apparition soudaine, il en oublia même sa victime, qui semblait croire que la cavalerie était arrivé. Que nenni. Cet être souhaitait le sang? Un grondement roula dans la gorge de Red, sans pour autant qu'il bouge. Il avait du mal à croire qu'un autre chasseur avait établi son territoire ici, lui qui détestait partager. Néanmoins le désir de son hôte de vouloir boire le sang de sa proie rendait la situation contradictoire : il ne pouvait pas priver quelqu'un qui avait su reconnaître la douceur de ce nectar. Le changeling prit quelques secondes pour tenter de peser le pour et le contre de la situation, son squelette retomba finalement en poussière. Le sommelier pouvait s'épargner des blessures et du temps, de toute manière il doutait que le Batpony laisse tomber une proie aussi facile et se serait à son désavantage de se battre contre les deux.

Soit.

Pour cette fois-ci, il accepterait le partage de cette victime. Il donnait la permission au cheval chauve-souris de se ressourcer sur sa victime, se disant qu'il n'aurait probablement pas assez d'appétit pour le vider au complet du précieux liquide. Il fallait qu'il lui en laisse, sinon sa folie serait sans borne. Un large sourire étira ses lèvres, montrant avec fierté sa rangée de dents pointues.

« Alors buvez, mon cher. » Dit-il d'une voix tremblante, excitée.

Le pégase semblait terrifié devant ce spectacle, il n'avait pas un, mais deux chasseurs à ses trousses. Détachant son regard du Batpony, le changeling s’élança d'un coup, le hachoir à présent dans la bouche. Il y avait fort à parier que le pégase serait capable de l'esquiver, mais le but était d'envoyer la proie entre les sabots du grand inconnu. Le sommelier allait lui couper les ailes une à une et ensuite...

Ensuite ils pourraient boire.

Il se laissa toiser sans un mot, attentif. A ses expressions insectoïdes qu'il peinait à interpréter, à la proie qu'il traquait depuis un petit moment déjà et qu'il ne comptait plus laisser filer à ce stade. Pas s'il pouvait s'arranger avec ce changeling étonnamment sanguinaire. La curiosité – morbide ? – pour le moment soigneusement muselée, le bat attendit le verdict, tout comme semblait l'attendre ce pégase anonyme que les vapeurs méphitiques du marécage commençaient déjà à affaiblir.

Son sang serait-il poison désormais ? La question insidieuse se fraya un chemin dans son esprit mais il se refusa à la considérer comme une réelle menace : la seule qui accaparait ses pensées était celle qu'il représentait, lui, avec son regard de sang, cette folie latente que son instinct de créature saine d'esprit ne pouvait que subodorer sans preuve tangible, lui qui d'un souffle l'invita à partager sa proie.

Un bond, un souffle d'air.
La menace du hachoir fit hennir le pégase qui décolla d'une impulsion pour sauver sa vie.
Vaine fuite, puisqu'il se tenait prêt.

Un grondement sourd, profond.
Un froissement de plumes, un cri de douleur et de terreur mêlée.

Les flancs du bat vibrèrent dans un renâclement grave, la tension de l'instant se relâchant d'un coup dans ses épaules : il avait bondit, plus vif et frais que sa victime qu'il avait écrasée sous son poids supérieur, sabots plaqués entre ses omoplates. Une aile tordue coincée entre ses dents il immobilisait l'autre étalon sous sa masse, l'or de son regard planté dans le cramoisi de celui du changeling. Forge, des plumes plein la bouche, serra davantage les mâchoires jusqu'à planter ses crocs dans l'artère alaire. Ce faisant il invita le chasseur à le rejoindre d'une inclinaison courtoise quoique rude de la tête. Les remerciements viendraient plus tard, si l'autre ne profitait pas de la situation pour s'en prendre ensuite à lui. Avec les nécromants... tout était envisageable.

Le mage ne chercha pas même à implorer ses bourreaux : sans doute se savait-il perdu et renonçait-il déjà à la vie, à moins qu'un reste de fierté ne le retienne encore.

Cette situation était bien étrange. Lui qui avait l'habitude de chasser en solitaire ses proies intoxiqués, il se retrouvait à faire équipe avec un étranger, non changeling qui plus est. Red était toujours instable et se demandait encore si ce qu'il faisait était la bonne chose. Ses croyances et son comportement habituel s'échauffaient entre eux, pour savoir qui avait raison. Tout prendre ou laisser un bout? Se servir de lui et ensuite lui voler sa proie? Elle lui appartenait, puisqu'il l'avait attaqué en premier. Était-il égoïste au point de ne pas laisser les autres profiter du plaisir du sang? Peut-être. C'est la question qu'il se posait alors que, la manche de son hachoir dans la bouche, il fendait l'air avec la lame pour faire fuir le pégase bleu. Ces nombreuses sorties pour se repaître lui avait permis d'apprendre à se servir de son arme avec plus d'efficacité, visant avec plaisir ce qui permettrait de faire souffrir et saigner les poneys choisis. Terminant son grand mouvement, il garda le manche entre ses dents, son regard carmin cherchant le pégase. Comme prévu le Batpony avait été d'une aide appréciable, lui sauvant la majorité du travail. Un serviteur comme celui-ci valait son pesant d'or. Un sourire déforma son visage alors qu'il contemplait la scène, s’avançant vers eux en trottant. Pauvre enfant. Le cheval ailé ne semblait même pas chercher à se défendre, il était dans un état qui rappelait au changeling ses autres chasses. Les animaux avaient tendance à figer lorsqu'ils étaient conscients d'un danger mortel, ils entraient dans un état ou ils était déconnectés de la réalité, pour s'éviter le plus de douleur possible. Le sommelier l'avait lu dans une revue psychologique pendant un avant-midi tranquille à la boutique, toujours intéressé par ce qui touchait de près ou de loin à la mort.

Sous le signe de Forge, Red se pencha vers sa proie, son regard croisant le sien. Le changeling ne voyait rien dans ses yeux azur, appuyant sans attendre son hachoir contre la gorge du pégase. Un mouvement sec et tout était terminé. Une nouvelle vie venait de disparaître de la surface du globe, rejoignant les autres dans le purgatoire. Combien de morts avaient été provoqués par lui? C'était une bonne question : il ne comptait plus depuis des mois. Le sommelier était bien conscient qu'il ne pourrait pas s'arrêter de si tôt dans son massacre et au final, ça ne le dérangeait pas. D'un autre geste vif, il détacha la tête du corps, lâchant ensuite son arme qui tomba au sol avec fracas. Sa langue fourchue léchait ses lèvres à répétition, comme un tic nerveux à la vue du sang.

« Huh huh. »

Partie plus gore, sous spoiler :

C'est comme s'il avait oublié sa présence tout ce temps là, le regardant avec une surprise non feinte. Depuis combien de temps le Batpony était là ? Il n'était pas partit après la mort du pégase ? Red agissait comme si cela faisait des heures qu'il buvait, il perdait toute notion du temps lorsqu'il se remplissait l'estomac. Fermant sa bouche pleine d'hémoglobine, il prit le temps d'avaler, se léchant les lèvres alors qu'il ne quittait pas son allié des yeux. Ses pupilles vibraient, le changeling ouvrant subitement la bouche.

« Ça goûte quoi, un bat ? » Demanda t-il à voix haute, pour lui-même.

Il contempla encore un moment l'imposant Batpony, comme si l'idée de s'attaquer à lui venait d’apparaître dans son esprit. Puis il se remit à boire sans rien rajouter, comme s'il n'avait rien dit deux secondes plus tôt.

Imposant Batpony qui s'était hérissé en l'entendant proférer ces mots qu'il redoutait d'entendre. Le goût métallique du sang avait une saveur viciée à son palais : une saveur de corps déjà mort, de tombe mais surtout cette saveur de marais putride qui s'était insinuée dans le sang intoxiqué du pégase assassiné. Une pensée, fugace. Il ne pouvait pas manger ça. Les effets de cette folie latente propre à ces lieux de désespoir se lisaient dans le comportement de l'autre, mélange insidieux entre un Chaotique et une Ombre. Rien de Changeling ici. Rien de cet esprit de la Ruche, de ce besoin de s’agglutiner les uns aux autres, de travailler pour la communauté et la grande Reine Chrysalys.

Celui-ci était perdu pour la Ruche, perdu sans doute pour le reste du monde.
Il n'avait plus faim. Le goût infecte du sang et la vision d'horreur avait suffit à lui couper l'appétit. S'il avait espéré l'espace de quelques instants qu'il puisse s'entendre avec un nécromant les actes de celui-ci lui avaient fait comprendre à quel point il avait pu être naïf. Trop différents.

Il s'ébroua, nuage de poussière et de spores s'élevant de sa robe sombre dans un froissement d'ailes et de crins pétroles.

- Le Changeling a un drôle de goût, répondit-il à la place, mais on s'y fait. Le Bat goûte la mort pour quiconque essaye de vampiriser un vampire.

L'avertissement fut proféré d'une voix calme et tranquille, basse et grave. Aucune provocation, rien, juste un fait. Il n'avait jamais accepté de servir de repas à quiconque, pas même ses anciens amis Lunaristes. Il y avait des choses qui ne rentraient tout simplement pas dans son paradigme, comme celui de servir de repas de sang.

- Comment se fait-il que vous vous nourrissiez ainsi ? Les vôtres ne se repaissent-ils pas des sentiments des autres espèces de poneys en théorie ?

Curiosité, là aussi.
Il essuya sa bouche sur son boulet, refusant de tenter le diable et de subir des effets secondaires indésirables en léchant ce qu'il avait refusé d'absorber. Il était certes curieux mais ne comptait pas offrir d'ouverture à cet étrange Changeling qui avait annoncé clairement une curiosité malsaine le concernant. Sa tête, il la trouvait très bien au bout de son cou, pas à vadrouiller n'importe comment entre les sabots d'un nécromant...

« Je goûte drôle. » Répéta t-il après le commentaire de Forge.

Red n'avait jamais touché au sang de changeling, c'était maudit à ses yeux. Le Batpony, lui, savait ce qu'ils goûtaient, ce qu'il trouvait à la limite fascinant. Quant au fait de manger du Bat, il trouvait cet argument plutôt valable. Dans son état ordinaire le sommelier aurait été moins compréhensif, mais son repas le rendait étrangement plus doux, ou tout du moins, plus philosophique. Il lâcha la tête de sa victime pour se frotter le menton d'un air pensif, se barbouillant le visage de liquide rouge sans s'en rendre compte. Donc Forge goûtait la mort. Peu intéressant. Il se mit à lécher son sabot d'un air absent, convaincu que les licornes donnaient les crus les plus alléchants. Peut-être que la magie plus grande en elles avait une incidence sur le goût ? Personne n'avait fait d'étude sur le sujet. Le changeling sursauta à la voix du Bat, l'ayant de nouveau oublié alors qu'il débattait intérieurement sur la question des licornes. Cette étrange bête semblait vouloir discuter avec lui, ce qui le surprenait quelque peu. D'ailleurs, elle ne semblait même pas se préoccuper du cadavre qu'ils avaient chassés. Comment pouvait-il gaspiller ainsi ? Le sang n'était pas à son goût personnel ? Un vrai difficile, celui-là.

« En théorie. Mais l'amour me fait vomir. » Dit-il à voix basse.

Ce n'était même pas une expression, essayer de se nourrir des sentiments heureux des autres lui levait le cœur. Le simple fait d'y penser faisait gargouiller son estomac, le goût de la bile lui remontant dans la gorge. Il toussa quelque instants, espérant que cela passerait. Au fait, pourquoi il lui répondait ? Red pencha légèrement la tête sur le côté, observant Forge. Ses pensées allaient et venaient sans trop de logique, ce qui le rendait plus bavard que d'habitude. Il releva sa croupe et fouilla dans son sac, sortant une bouteille de vin qui n'était pas étiqueté. Il la jeta vers Forge, sans regarder si cela lui atterrirait dessus ou à côté. Il ne visait pas très bien de toute façon. La bouteille en vitre épais était remplie de sang de ses cuves personnelles, au cas ou il n'aurait rien trouvé. Il ne fallait pas croire qu'il faisait preuve de générosité, il tendait un appât en espérant de tout cœur que le Batpony lui laisse le reste du pégase pour lui seul.

« Bois. Je produis du vin et garde du sang de côté. J'en vends parfois en contrebande à des poneys comme toi. Bien meilleur que du pégase marécageux. »

Allez, lâche la proie. Le sommelier allait se faire un plaisir de le boire à sa place. Attendant patiemment de voir si Forge allait délaisser. Il n'y avait pas de poison dans ce breuvage et il était hermétiquement fermé, ce qui gardait son goût. Red ne comprenait pas que Forge hésiterait peut-être à boire la bouteille tendu par un nécromancien, trop préoccupé par son buffet. Il s’avança un peu de quelques pas, reculant presque immédiatement. Le changeling n'avait pas remarqué au départ parce qu'il était en chasse, mais à présent, cela sentait à plein nez.

« Tu pues l'amour ! » Cria t-il d'un air dégoûté. « Pas étonnant que tu sois dans le coin, tu es un buffet ambulant pour les autres. Eurk. »

Un rire bas, grave, sur des mâchoires serrées sur le goulot de la bouteille offerte qu'il avait attrapée au vol et donnait à la sonorité de sa voix un roulement étrange, guttural.

- Je suis venu précisément pour ça. Pour que les tiens aspirent jusqu'à la lie cet chose dont je ne veux pas. En échange je vole un peu de leur vie, le procédé me semble honnête.

Une pause.
Il recula, enjambant le corps mort sans lui allouer le moindre regard, le sien toujours planté dans celui changeant et étrange du nécromant. Un coup de chanfrein dans la croupe du mort pour le pousser vers le Changeling et il s'écartait pour de bon. Appât de sang ou non, ce repas n'était pas pour lui et il le lui laissait bien volontiers, ses multiples questions quant aux raisons de cette chasse ne franchissant pas le seuil de ses lèvres.

- N'as-tu jamais essayé d'autres émotions ? La peur, le dégoût... Je connais des tiens uniquement ce que j'ai pu voir à la Brèche et ai toujours trouvé curieux ce régime exclusif. Surtout en temps de guerre...

Et de poser sa croupe non loin sur une touffe d'herbe, renonçant à se percher tête en bas comme à son habitude puisqu'il était en compagnie. Il déboucha la bouteille, curieux de voir comment le sang était préservé. Sans doute par un sortilège de nécromancie puisque laissé sans soins il avait tendance à coaguler et pourrir... La curiosité toujours, mêlée de prudence puisque pour l'heure il n'y touchait pas. Prudence et surtout, attendre que la faim revienne...

- Les tiens vont crever de faim si les autres Nations se mettent toutes à pleurnicher sur les horreurs de la guerre et ta Reine a tout intérêt à ce que ces conflits se stabilisent rapidement si elle veut conserver son cheptel.

Tout l'inverse de ce qu'il souhaitait, en somme. Son art avait besoin de la guerre pour s'exprimer : il était tout sauf pressé d'en revenir aux commandes de socs de charrues, d'essieux et autres marmites, pitié.

Son stratagème avait fonctionné. Parce qu'il avait donné la bouteille, pas à cause du cadavre en soi, évidemment. Le meurtrier oubliait que le Bat risquait une intoxication en buvant le pégase empoissonné. Le changeling observait avec un plaisir non feint le cadavre qui avait roulé à lui, se jetant  dessus avec un glapissement heureux. Il tapotait la chair avec son sabot, se demandant s'il y aurait quelque chose d'intéressant à faire avec ce cadavre, finalement. Sans tête cela risquait d'être compliqué. De nouveau assis dans la boue, le sommelier continuait son exploration du buffet, écoutant d'une oreille les paroles de l'inconnu. C'est qu'il en posait des questions, la chauve souris. Red se serait probablement sentit agacé dans une autre situation, mais le sang lui occupait la moitié de son l'esprit, celui-ci sentant que son estomac commençait enfin à atteindre le maximum. Malgré cela il ne pouvait pas gaspiller cette bête, il allait transporter quelque morceaux jusqu'à chez lui. Se frottant le museau en se demandant ce qu'il allait donner à son crocodile, il fut déconcentré par la conversation que tentait de maintenir Forge. Le changeling posa un regard sur lui qui semblait dire : vraiment, tu ne connais pas la réponse? Pour ceux de l'extérieur le comportement des insectes pouvaient paraître étrange, c'était normal. Néanmoins pour le sommelier cela paraissait si facile à comprendre qu'il trouvait limite le Batpony stupide. Retournant reprendre son hachoir qui traînait au sol, Red en profita pour répondre d'une voix froide.

« Non. » Il souleva la lame à l'aide de sa télépathie, la regardant quelque secondes. « Nous pouvons tous manger normalement. Jamais essayé les autres, m'intéresse pas t'facon. La différence avec l'amour d'après les autres... c'est l'impression de devenir plus fort. »

Il parut se figer quelque instants, la bouche légèrement ouverte. Le changeling ne se souvenait pas avoir déjà tenté de manger une émotion comme celle-ci, à dire vrai il ne se souvenait pas de grand chose d'avant sa dernière mission dans l'armée. Y penser ramenait en lui des visions étranges et il préférait ne pas s'éterniser là-dessus, se tournant vers Forge d'un air théâtral. Le sommelier souleva son sabot et le pointa vers lui, un large sourire étirant ses lèvres alors qu'il prenait une voix de ténor.

« La peur, le dégoût... des émotions qui ne mènent à rien. La peur fait figer, le dégoût fait reculer... L'amour, lui... eh bien... pousse au courage, il lie les poneys entre eux, il détermine si une nation se tient debout ou s'écroule. Suffit-il vraiment d'une guerre pour le faire disparaître ? Non. Soit l'âme se brise, soit elle se sert de l'amour pour se dépasser et conquérir. L'amour vit dans le cœur et à moins de fracasser celui-ci, il ne partira pas tout seul. Tout comme nourrir les autres ne le détruira jamais. »

Le sommelier venait de tirer une pique à propos du but du Batpony, considérant inutile de vouloir ignorer ses sentiments en laissant les autres l'aspirer. Allait-il un jour arrêter d'aimer ? Ce ne serait pas grâce aux insectes, en tout cas. Trottant d'un air satisfait vers son cadavre, il abattit la lame sans trop porter attention aux endroits qu'il frappait. Le sang lui giclait dessus mais cela ne semblait le déranger pour deux sous, celui-ci sortant tranquillement des sacs plastiques de son sac de voyage.

« Sinon, ma Reine ? Pour les autres, peut-être... » Il se mit à rire, déposant son hachoir recouvert de rouge. « Tu t'enfuis de l'amour, donc ? C'est drôle, la majorité des poneys le pourchassent. Perso je m'en fous, je sens presque rien de toute facon. T'es bizarre. »

Dit le changeling en train de découper un pégase mort.

La Logorrhée étrangement détachée du Changeling eut droit à l'entière attention de son auditoire prudent. Auditoire qui l'observa faire et si au début le dégoût et une vague nausée de pure empathie déplacée lui chatouillait l'estomac, très vite, l'indignation propre du Forgeur face à un travail de cochon - de boucher ? - prit le dessus. Un grondement sourd, désapprobateur roula dans la gorge de l'énorme bat qui bruissa des ailes avant de les plaquer d'un coup sec contre son échine. Pourtant à ce stade il n'était pas encore décidé à proférer le moindre commentaire ni même entrer dans un débat sur l'inutilité de sa tentative. ça, il n'était pas encore prêt à l'aborder. Il n'était pas en terre Changeling depuis une année complète, il n'était pas encore résolu à renoncer à sa seule alternative actuelle.

- Bizarre je ne sais pas... Je ne considère pas l'amour comme une force mais comme un fil à la patte qui rend les poneys dépendants des uns des autres et les transforment en boulet au lieu de les encourager à se sortir les sabots du cul pour se débrouiller comme des adultes et non des assistés qui comptent sur leurs potes pour les sauver... ça vient sans doute de là je suppose.

Avis tranché, mépris roulant dans le ton de sa voix grave jusqu'à la chute plus tranquille. Le sujet devait être sensible pour la grosse bête bleu nuit ou du moins l'avoir beaucoup agacé par le passé. Il les sentait toujours, ces chaines. Ces chaines qui l'étranglaient et le liaient à la Princesse Lunaire sans lui laisser le moindre répit. Il ne comprenait sincèrement pas qu'on puisse vouloir s'infliger pareille souffrance sans chercher à s'en défaire.
Il huma de nouveau le sang offert, tâchant d'en reconnaître la race du propriétaire. Se changer les idées devenait nécessaire et abandonnant un peu de sa réserve il en prit une première gorgée.

Le sang était frais tout comme l'annonçait son odeur. Riche, préservé. Sa saveur métallique et délicieuse rasséréna aussitôt le grand animal qui crevait de faim mine de rien. Une autre gorgée suivit la première.

- Ton hachoir est mal affûté. Si tu ne comptais pas sur une découpe nette ça ne dérange pas je suppose, mais sinon... Autre gorgée. Passe chez moi à l'occasion, je te l'affûterai gratuitement. Tu ne pourras pas louper mon établissement de nuit au quartier des artisans, je suis le seul en activité tu me trouveras au chant de l'enclume.

Proposition honnête pour le sang refilé et il avait aussi dans la petite idée de dealer... ce qui pourrait l'intéresser en ferronnerie contre des bouteilles de sang préservé. Plus tard. Déjà il devait s'assurer que le nécromant n'était pas réfractaire à toute idée de troc entre eux.

Un long rire, le changeling peinant à reprendre son souffle. La vision de l'amour que lui peignait le Bat était plus sombre qu'il ne l'aurait cru. Voilà qui était intriguant. Cet étalon était amoureux, mais préférait jeter ses sentiments à gauche et à droite en espérant s'en libérer un jour, comme si c'était une malédiction. Red continua son travail et lâcha finalement son hachoir, commençant à mettre les bouts de viandes dans les sacs pour le transport. Il fut surpris du commentaire de Forge, arrêtant son mouvement. Mal affûté? Le sommelier jeta un coup d’œil à son arme, regardant la lame de plus près. Alors sa rencontre du jour était forgeur? Le changeling se fichait bien que ses découpes ne soient pas nettes sur un cadavre, mais sur un vivant par contre... le sommelier n'était pas idiot, il voyait bien ou le Bat voulait en venir. Un large sourire étira ses lèvres, découvrant ses canines. Red ne développait pas d'amitié, juste des liens utiles, des liens de commerce. C'était quelque chose que Forge devait impérativement comprendre, bien que cela devait déjà être le cas, il avait bien vu comment il agissait envers les autres. Le nécromancien hocha doucement la tête, ayant déjà pris sa décision. Cette liaison serait profitable pour les deux protagonistes et le Batpony n'aurait plus jamais à se demander s'il planterait ses dents dans son cou, il ne mangeait pas ce qui se rendait utile. Red fournirait le sang et Forge des services. Le sommelier n'aimait pas l'idée de se battre de nouveau avec l'armée, mais si une autre faction attaquait sa ville, il devait pouvoir se défendre.

« Je vois. J'imagine que boire du sang à la bouteille serait plus facile que prendre directement d'un vivant. Voyons cela ainsi : je te fournis du sang et en échange, mon hachoir et... le reste de mes instruments de dissection sont mieux entretenus que chez moi. Qu'importe ce qui se passe, je ne lève jamais le sabot contre un partenaire d'affaire. », dit-il en prenant un bout de viande plus petit, l'avalant d'un coup.

Le changeling se tut et continua tranquillement sa besogne, terminant de mettre en sac les morceaux qu'il avait décidé d'emporter avec lui. Il remit son sac de voyage en bandoulière, grognant en sentant le poids lui affaisser légèrement le dos. Un peu d'entrainement physique ne lui ferait pas de tort... Red rangea ensuite son hachoir dans le fourreau qu'il avait confectionné exprès et se tourna vers Forge, prêt à reprendre sa route. Le sommelier avait une longue route à faire et ne voulait pas traîner, pendant ce temps sa boutique restait fermée et l'argent ne rentrait pas. Levant le sabot pour saluer cette étrange rencontre, il ouvrit la bouche une dernière fois.

« Si la faim te presse, ma boutique est à Tramplevania. Cherche la Fin du Monde et tu auras du sang à flot. Oh et en pensant, je m'appelle Red Wine. », dit-il en riant, commençant à s'éloigner du Batpony.

Le nécromancien disparu dans la brume, reprenant sa route tranquillement. Cette journée avait été particulièrement bonne. Il avait gagné un cadavre sans trop forcer, rencontré quelqu'un qui reconnaissait la valeur gustative du sang et avait même établit une liaison avec lui, chacun étant utile à l'autre. Il devait être préparé en cas de bataille, sinon il risquait d'être surpris. Quelqu'un comme lui méritait une arme de qualité ! Satisfait de cette chasse, il quitta Hayseed Swamps le cœur léger, direction Tramplevania.

Mot de la fin:

Un sourire en coin presque imperceptible avait étiré les lèvres ensanglantées du bat qui ne s'était pas donné la peine de relever la méprise. Qu'il croit donc qu'il préférait le sang en bouteille, cela irait très bien ainsi. Il n'avait pas besoin de savoir qu'il préférerait toujours boire la vie à la gorge même de ses repas, c'était mieux ainsi. Il ne tenait pas à être tagué de vampire dans son entourage s'il pouvait l'éviter et dans ce petit jeu d'échecs engagés avec le nécromant il ne repartait pas perdant, pas à son sens du moins. Un grondement sourd et grave, ce renâclement de salutation d'un étalon à un autre roula dans la gorge du Forgeur.

- L'accord me convient nécromant, lâcha-t-il ensuite en se relevant.

Il ne se donna pas non plus la peine de lui donner son nom : ce n'était pas nécessaire. Chaque chose en son temps, ils savaient où se trouver, les noms n'étaient que des détails sans grande importance et le sien resterait sous silence encore un peu. Il finirait par l'apprendre ; il finirait par savoir que la grosse bête bleue étranglée par cette saleté d'amour dont il ne voulait pas répondait au nom de Forge Lune. Il finirait par le savoir, mais pas ce jour d'hui. Non, pas ce jour.

Il l'observa disparaître dans la brume, gueule ouverte pour sonder de ses cris silencieux le marais. Et lorsque de l'étrange Changeling il n'eut plus aucun écho, il prit une impulsion et s'envola d'un battement d'ailes, emportant avec lui son précieux tribut de sang.

Il ne serait pas rassasié avec cette bouteille qui ne contenait pas même un litre du précieux breuvage, la chasse était loin d'être finie pour lui. Il s'éloigna rapidement de ces marais peu giboyeux, la tête en ébullition. Sans le savoir, le nécromant lui avait donné du grain à moudre et matière à réflexion...

Spoiler: