Don't be affraid. [FINI]

Shadow est petite. Frêle. Une crevette, pas plus grosse qu'une allumette. Les Whispers, d'ordinaire, sont imposants, aussi bien en taille qu'en corpulence. Leur solide entrainement a contribué à faire d'eux de véritables monstres. La plupart, pour leur force, devenaient chevaliers, ou gardes. Même les juments demeuraient assignées à des tâches plutôt "masculines", véritables bêtes de combat, jusqu'à la trentaine, tout au plus. On sait tous comment finissent les Whispers, non ? Famille infidèle à la lune, mais dévouée à leur souverain des ombres... Mais elle, la douce et belle Shadow, n'est pas une guerrière. Ni une combattante... Mais demeure agile et discrète, rapide. Fine et longiline, c'est un petit bout de jument à peine formée, une grande gamine aux yeux brûlants.

Ces yeux, qui fascinent, qui hantent ceux les croisant. On y croirait voir l'Enfer tant les flammes semblent brûler avec ardeur dedans... Et aussi tant de douceur, la douceur des roses rouges, des fruits orangés... Un regard à la fois si expressif, et pouvant devenir totalement mort. Vide. Elle sait jouer à ces jeux là. La petite espionne fantôme. Sa carrure lui permet la souplesse, la délicatesse des nymphes. Mais dans son regard, brille toujours cet étrange sentiment contradictoire. Comme si une impressionnante froideur et méprisance régnait dans son regard. Elle est belle, elle est sauvage, une grande gamine trompeuse qui se cache.

La robe violacée aux arabesques plus sombres, la cutie mark, un oeil s'évaporant, les crins toujours bien coiffés, façon vintage, blancs, méchés de rouges, tantôt relachés, tantôt coiffés en un vague chignon. Le visage fin, délicat. Les longs cils noirs maquillés où perlent parfois une larme. Tout cela contribue à son petit charme, mais la belle n'a que faire des belles paroles. En dernier lieu, sa cutie mark est un oeil entouré de brume blanche.

Les sirènes veulent chanter sans être dérangées.

Sha joue avec les masques.

On ne connait pas vraiment son caractère en détails, quelques traits, tout au plus. Son calme légendaire, en toute situation, son sens de l'observation acéré, son petit côté farouche outrant certains. Elle est à la fois un chien bien dressé et prêt à mordre à la moindre erreur de son maître. Shadow regarde, juge, apprends. C'est un esprit ouvert, curieux, ne refusant pas les autres peuples. Mais savant manier le bâton - et ses sabots - quand il le faut. Discrète, elle ne parle que très peu, jugeant qu'il faut mieux tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de prononcer quoique ce soit. Méfiante, son regard vous analyse. Vous comprends.

Il faut savoir qu'elle est sensible, la rose. Horriblement. Mais elle le cache, cette faiblesse, car s'en est une. Egalement tête brulée, la fierté et l'orgueil brillant dans son regard, soulevant son petit menton, elle n'hésite pas à se jeter dans le danger s'il le faut, ignorant les risques. Son côté lionne parle, une lionne avide de combat et de vengeance, tranchant les langues trop pendues ou les griffes envieuses d'un coup sec et calculé.

Malgré les airs que peut se donner la jeune jument, son coeur n'est pas dénué de sentiments positifs, et, à vrai dire, sa loyauté demeure sans faille. Quoi de plus beau pour Dragon, qui se rappelle encore de ce soir ?

" Whispers ! "

Quel dîner.
On se croirait à un enterrement.
Tu l'as dit.
Chut, laisse le parler. Tu sais bien qu'il va encore faire son grand discours sur la gloire de notre Haut Roi.
Le Danseur d'Ombres que nous servons.
La ferme. Il cause.

" J'aimerai savoir une chose. Juste une chose. Toute petite. Ca ne prendra pas longtemps, et après, vous mangerez et irez vous coucher. Sacha, coupe de vin je te prie. "

Sacha, petit domestique frêle et habile, aux oreilles attentives, savait depuis bien longtemps ce que son Maître, Dragon Whisper, voulait dire. Enfin, bien longtemps. Depuis la fin de l'après midi. Depuis son arrivée. Cela avait fait jaser dans toute la maison. Les murmures, chuchotements, grouillaient, fourmillaient entre les murs, serpentaient sur les sols. Dans l'ombre, derrière un rideau de velours rouge, nimbé de reflets cuivrés de par la lumière des chandelles, une respiration rapide et saccadée se faisait entendre. Un reniflement, un couinement étouffé. Un sermont.

Ada, la compagne de Dragon Whisper, était morte depuis deux ans déjà. Tombée dans l'escalier, ses sabots maladroits s'étant pris dans le tapis, elle avait hurlé, ses os se brisant. Comme du verre. Ils le savait tous, cette belle barde n'avait pas son pareil pour user de cabrioles et de contes. A force de cascades épiques et exagérées, telle un mouflon grimpant dans les montagnes, elle était déchue, réduite à un corps disloqué, les yeux écarquillés et la bouche en sang. Vision d'horreur pour toute la famille, enterrement rapide et sans suite particulière. On était habitués aux morts, chez les Whispers. Vive les os de verre, franchement. Glauque famille, n'est ce pas, avait-on envie de dire ?

Dragon toussota. Sa crinière grise se secoua légèrement devant ses yeux bruns, dissimulant la lueur impatiente de ses prunelles fines et distraites. Il était comme ça, le Maître. Un sombre rêveur. Mais aujourd'hui, il était temps de mettre les cartes sur table. Il déglutit, arrangea sa longue cape rouge - ciel, il se prenait vraiment pour un duc celui là - se racla la gorge. Allez les Whispers, réagissez, votre repas va refroidir. Vous n'aimez pas la froideur. Vous savez que vous périrez. tous, avec vos petits os de verre, à trop jouer aux malins. Vous avez eu une très mauvaise réputation ces temps ci, n'est ce pas ? Reprenons le dîner.

" Whispers... Oncles, Tantes, vieux croutons et vieilles biques, cousines graciles, cousins forts et j'en passe... Quelqu'un va nous rejoindre à table ce soir. Je vous demande de bien l'accueillir. Merci. "

Le rideau s'ouvre lentement sur ton visage en larmes, Shadow Whisper, petite pouliche fragile et aux yeux baignés de larmes.

Petite rose fragile.
Tu fais pitié.
Qui es-tu ?
D'où viens-tu ?
Ces yeux, regardez ces yeux !
Un rouge sanglant, éclaboussé d'ambre et de cuivre. Un brasier, pareils à ceux des forgerons.
Oh, ça tombe bien, c'est une fille de forgeron apparemment... Enfin... C'est ce qu'on dit. Le Papa est un peu plus haut placé que cela.
Ce serait...

" Ma famille. Voici Shadow Whisper, ma fille. L'enfant que j'ai abandonné il y a quatre ans déjà. Vous me connaissez... Don Juan dans l'âme... Ada a été dupée, vous avez gardé le secret, mes fidèles chiens bien dressés... Sans quoi... Bref. Pas besoin de connaître la mère. Elle est morte de toute façon. Je passais la revoir, dans un élan de sympathie, dans sa bicoque indigne de sa beauté. Charmante dame. Et vous l'auriez vue ! Allongée sur son lit, elle semblait endormie. Le visage très crispé cependant. Je soupçonne qu'elle ne se réveillera pas. Et il y avait elle. cette petite que vous voyez là. Vous le sentez, elle est des nôtres, évidemment ! ce n'est encore qu'une enfant, elle ne comprend pas.. Mais jamais les Whispers ne s'abandonnent. Sha, viens dire bonjour à ta famille. "

La petite cligna des yeux. Elle ne pleurait plus depuis le moment où son père avait commencé à parler. Il était vrai qu'elle leur demeuraient semblable, les Whispers arborant en casi totalité une robe sombre et un petit air dans les yeux qui ne trompe pas. De plus, tous demeuraient reconnus dans la rue par leurs capes, et la petite, en portait justement une. Besoin d'un autre indice aussi bancal ? En vérité, Dragon avait gardé un oeil sur cette mystérieuse conquête d'un soir, ayant envisagé d'éradiquer son épouse trop ennuyante pour lui. Il savait depuis bien longtemps que Shadow demeurait sa fille.

" Peut... Peut être... "

Oui ?
Que veux-tu dire ?

" Peut être que la seule chose que les sirènes désirent est de chanter sans être dérangées. "

La voix étrangement calme et inexpressive de Shadow Whisper cloua les murmures choqués de la famille Whisper. La petite pouliche s'inclina, et disparut.



Petite, qui es-tu sous ce regard sanglant ?
Où cours tu avec tes sabots fuyants ?

Danseuse des ombres au cœur de cristal,
Affrontant sans peur les démons du mal,

Petite rose, fleur fragile et épineuse,
Tu sembles si heureuse.